Joan Gibert
Elle porte le prénom de la chanteuse que ses parents adorent: Joan Baez. En français ce prénom est Jeanne alors que la version masculine est Johan. Alors comme son nom ressemble plutôt à ce dernier, ses professeurs le lisant sur une liste s'attendaient à voir un garçon. « Non, mais moi je suis une fille ! » les corrigeait-elle. Joan m'explique en riant que c'est peut-être pour cela qu’elle n'a jamais considéré son genre comme un obstacle à ce qu'elle veut faire. « Je ne me suis jamais posée la question en faisant mes choix professionnels de savoir si ce que je voulais faire était un métier d'homme ou de femme », me dit-elle autour d'un café lors d'un entretien en face à face, le premier depuis l'apparition du Covid-19 en mars dernier.
Aujourd'hui, cette ingénieure mécanique et mère de deux enfants est cheffe de produit pour les camions chez Arquus, la branche militaire de Volvo. Elle est dans cette entreprise depuis un an après une carrière de 17 ans chez Renault. Son travail consiste à « guider l'ingénierie sur les besoins de nos clients, orienter les compromis que nous devons faire, afin de développer les futurs produits de la gamme ». Pour l'aider à s'adapter aux aspects militaires de son nouveau poste elle fréquente actuellement l'École de Guerre - Terre une journée par semaine.
Joan était forte en maths aux lycée ; elle a donc poursuivi les études de cette matière à l'université Paul Sabatier de Toulouse. Mais ne souhaitant pas devenir enseignante ou universitaire, elle a opté pour la filière de préparation des concours et fut admise à l'École Nationale Supérieure d'Ingénieurs en Mécanique et Energétique (ENSIMEV) devenue aujourd'hui l'Institut National des Sciences Appliquées Hauts-de-France. (INSA) à Valenciennes. Dans sa classe, où 10% des élèves étaient des femmes, « j'ai suivi une dominante Utilisation et Conversion de l’Energie », explique-t-elle.
Le premier de ses deux stages obligatoires s'est déroulé au sein du centre de recherche nucléaire de Karlsruhe en Allemagne où elle a travaillé sur la dépollution du système de refroidissement du projet de réacteur à fusion ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor). « Ce fut une expérience fantastique de travailler avec tant de nationalités différentes », s'enthousiasme Joan.
Son deuxième stage était à Bristol, en Angleterre, pour travailler sur la gestion des connaissances chez Airbus UK. Elle parle aujourd'hui couramment l'allemand (presque !!) et l'anglais.
Jeune diplômée, Joan a été embauchée chez Renault automobiles comme ingénieure de recherche en thermique. Au cours de cinq années passées dans ce département elle a déposé des brevets et qualifié des systèmes innovants de climatisation-chauffage. Elle a ensuite rejoint le service ergonomie, puis étendu son périmètre aux aménagements intérieurs et systèmes embarqués pour y rester sept ans en travaillant notamment sur la première voiture électrique de Renault, Zoe. Joan a particulièrement apprécié le travail en projet véhicule : le travail en équipe, le but commun, et la concrétisation du travail en un objet très appropriable.
Après un passage de cinq ans dans la section 'véhicules utilitaires' de Renault, Joan a décidé qu'il était temps de passer à autre chose. Je me demandais si j'étais capable de voir ailleurs. Après tout, toute ma carrière jusque-là avait été dans la même entreprise. Mon mari m'a beaucoup encouragé à changer de travail », sourit-elle.
L'offre d'emploi publiée par Arquus a piqué son intérêt. « Avant même de postuler, j'ai longuement réfléchi au côté 'défense' car je sais que pour m'investir dans un emploi, il faut que j'aime le produit que je fais. En fin de compte, c'est le côté défense et militaire qui m'a séduit. » Cette jeune femme charmante et amicale était également attirée par le défi technologique de la conception de camions militaires. « C'est un domaine stimulant et un objet technologiquement intéressant », fait-elle remarquer.
Joan ajoute que maintenant qu'elle est dans le métier, elle se rend compte à quel point l'industrie de l'armement est « hyper réglementée, ce qui est rassurant » et qu'elle a compris, comme peut-être les personnes extérieures au secteur ne l'ont pas, « que ces matériels servent à nous protéger. Les véhicules sur lesquels je travaille servent également à protéger les personnes qui nous protègent, cela donne du sens à notre métier ».
Le monde des voitures et des camions est traditionnellement masculin. Mais Joan dit qu'elle « n'a jamais ressentie de notions malveillantes vis-à-vis de mon genre, mais j'ai rencontré beaucoup de paternalisme ». Elle réfléchit un moment et modifie son propos. « En fait, j'ai eu un commentaire une fois en 2002 alors que je cherchais un emploi et qu'il était difficile d'être embauchée [après l'attaque terroriste du 11 septembre à New York]. J'avais deux offres d'emploi et un de mes camarades de promo n'en avait aucune et m'a dit plutôt amèrement qu'il pensait que je n'avais eu ces offres que parce que les entreprises voulaient se féminiser. »
Mais, selon Joan, « si tout le reste est égal entre deux candidats et l’un est un homme et l’autre une femme, pourquoi ne pas donner une chance à la femme ? »
Quant aux commentaires paternalistes, elle les considère comme presque charmants, « car venant de gens qui étaient beaucoup plus âgés que moi et qui n'avaient pas l'habitude de travailler avec des filles. J’ai donc été souvent traitée comme une princesse », dit-elle en riant. « Mais le genre ne devrait même pas être une question », ajoute-elle.