Wombat

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Alexis Blasselle

Alexis Blasselle. Photo personnelle.

Alexis conçoit des navires de guerre. Depuis toujours. Enfant, elle remplissait des pages de ses dessins colorés de bateaux. Mais, contrairement à toutes les autres femmes que j'ai interviewée jusqu’à présent, lycéenne elle était en échec scolaire. C'est difficile à imaginer quand on discute avec cette jeune femme extrêmement éloquente, pleine d'entrain, sportive et dotée d'un esprit si vif.

« Je viens d'un quartier très populaire de Marseille; mon lycée était dans une zone d'éducation prioritaire ; en d'autres termes, il y avait un taux d'échec élevé au baccalauréat. J'ai traversé une véritable crise d'adolescence, et n'ai été admise en classe de première que de justesse. » Mais c’est dans cette classe que son chemin a croisé celui d'une professeure de mathématiques qui a vu en elle un potentiel, et grâce à qui elle est « tombée en amour avec les mathématiques ».

Personne dans son entourage, y compris les enseignants, ne connaissait les « prépas » [voir le glossaire] ; c’est donc à la faculté qu'elle est allée étudier les mathématiques. Au cours des premières semaines, elle a commencé à entendre parler de ces « prépas » où l'on étudiait les mathématiques de façon intensive et se mit a trouver cela bien plus attirant que son cursus universitaire. Mais l'année scolaire étant déjà bien entamée les inscriptions à ces lycées extrêmement sélectifs étaient closes depuis six mois. Imperturbable, elle a pris rendez-vous en décembre avec le directeur du lycée Thiers de Marseille qui a fini par céder devant son insistance. Elle était admise !

« Et puis est venu le moment de passer les concours. Je les ai abordés sans stress parce que les résultats m'importaient peu étant donné que je comptais retourner à l'université. De plus, ma famille n'y connaissait rien, donc ne me mettait aucune pression. » Elle a été admise à l'école d'ingénieurs la plus prestigieuse de France : Polytechnique (voir glossaire). « Alors je me suis dit que je devrais probablement y aller ! » dit-elle de façon désarmante.

Elle concède que pendant les premières semaines de sa scolarité à Polytechnique « j'étais complètement perdue. La plupart de mes camarades étaient issus de classe moyenne supérieure et avaient fréquenté les meilleurs lycées de France ; il y avait donc un gros fossé culturel. » Elle rit quand elle se souvient de son incrédulité face à des camarades de classe qui lui ont dit se connaître depuis les scouts, institution qu'elle pensait disparue depuis le 19e siècle !

Mais comme les étudiants sont regroupés en sections sportives - elle était judoka - et au fur et à mesure qu'elle s'est acclimatée, le fossé culturel s'est rétréci.

Au bout du cursus de quatre ans, Alexis a continué ses études à l'université pour y entreprendre un doctorat en mathématiques qu'elle a soutenu en 2011. « Ma thèse [‘Modélisation mathématique de la peau’] est la chose dont je suis la plus fière parmi tout ce que j'ai pu faire jusqu'à présent », dit-elle, en racontant prosaïquement comment elle complétait son petit salaire d'assistante de recherche en travaillant le soir comme serveuse dans un bar. Elle aimait beaucoup enseigner donc elle donnait aussi des cours privés. Le père d'un de ses élèves travaillait pour Bouygues. Celui-ci lui proposa un poste en Australie en 2012 quand elle décida vouloir gagner un salaire plus important que ce qui était possible en tant que chercheuse en mathématiques.

« Oh, bon Dieu, quelle misogynie j'ai rencontrée dans l'Outback du Queensland ! » frissonne-t-elle. Elle y a passé 18 mois à travailler sur un projet de reconstruction d'une route pour réduire son impact environnemental et sociétal au maximum. Alexis a donc passé beaucoup de temps à étudier avec les propriétaires aborigènes du terrain le meilleur emplacement pour cette route. « Je n'ai eu aucun problème avec eux, c'était plutôt avec les rednecks australiens », raconte-t-elle.

Ensuite, Bouygues lui a proposé un poste en France en tant que directrice adjointe d'un chantier à Clermond-Ferrand où elle devait coordonner les travaux. « Je n'ai jamais travaillé aussi dur de ma vie, mais j'ai vraiment adoré travailler en équipe et gagner beaucoup d'argent. »

Mais il lui manquait quelque chose : l'eau. « J'ai grandi au bord de la mer, j'étais tout le temps dans l'eau, alors j'ai cherché une grande entreprise impliquée dans les systèmes navals où je pourrais travailler en équipe et Naval Group me semblait un choix évident. J'ai envoyé ma candidature en 2014 et on m'a proposé un poste d'architecte naval. Je n'oublierai jamais ce que mon patron m'a dit à l'époque : 'Nous allons vous jeter à l'eau et voir si vous savez nager' ! »

La réponse, clairement, est oui elle sait nager !

Un architecte naval est comme le chef d'un orchestre d'une quinzaine de personnes. Elle est la seule femme parmi une quarantaine d'architectes navals mais n'a rencontré aucune misogynie directe, « juste accidentelle, comme quand quelqu'un entre dans une pièce où je suis et dit 'bonjour messieurs', mais c'est incomparable avec ce que j'ai rencontré dans le secteur du génie civil où il m'a fallu contrer les propos carrément sexistes avec de la subtilité, de l'humour et la dérision. »

Elle a cependant remarqué que « lorsque je mets en avant une idée, je dois fournir une preuve formelle pour la soutenir » et que, a priori, « mes collègues ont moins confiance en moi, mais l'avantage est que cela me force à être excellente. »

Jeune divorcée sans enfants « à l'exception d'une toute petite start-up appelée Tek Diving pour laquelle je fournis des formules mathématiques », sourit-elle, Alexis passe tout le temps qui reste après le travail et le sport « à faire toutes ces tâches ennuyeuses mais nécessaires faîtes pour mes collègues plus âgés par leurs épouses : les courses, la cuisine, le ménage, la lessive.» Quel que soit l'avenir de sa vie personnelle, elle est très décidée que dans 20 ans « j'espère être toujours chez Naval Group ».