Ex-capitaine de corvette Linda Maloney
« L’U.S. Navy a soutenu pendant des années que les missions de combat étaient trop dangereuses pour des femmes, mais elle ne se souciait pas du fait que nous pilotions les plus vieux avions de la marine ! » Après 15 ans de retraite, suite à une carrière de 20 ans comme officier de marine, l'ex-capitaine de corvette Linda Maloney n'en revient toujours pas.
C'est à bord de l'un de ces anciens avions, un EA-6A* biplace, que le 11 février 1991, Linda et le capitaine de corvette Stan Parsons volaient à environ 160 km au large des côtes de la Floride lorsque l'avion subit une panne hydraulique totale. À 13 000 pieds, Parsons lui ordonne (deux fois) de s'éjecter. « Il était 13 heures et je me souviens d'un éclat de lumière puis de petits morceaux de papier jaune comme des confettis qui volaient tout autour de moi - j'avais eu mon bloc-notes sur les genoux - et puis je me suis évanouie brièvement. C'est le coup sec du parachute qui s'ouvrait qui m'a fait reprendre connaissance et je me suis rendue compte que j'allais droit vers la mer. » Alors elle a abaissé le radeau gonflable qui se trouve sous chaque siège éjectable Martin Baker et puis à environ 3 mètres au-dessus de l'eau, elle a détaché son parachute. « J'ai ensuite dû nager sur une courte distance pour atteindre mon radeau, et je suis restée assise dessus pendant une heure jusqu'à l'arrivée d'un hélicoptère de recherche et de sauvetage de la Marine. Il y avait beaucoup de vent ce jour là, ma radio était nase, j'avais un trou dans le menton et des blessures aux phalanges parce que je ne portais pas les gants qui était pourtant obligatoire mais à part çela, ça allait. Et puis, quand le nageur/sauveteur est arrivé vers moi, sa première réaction a été 'oh mon Dieu, tu es une fille !' »
À l'insu de Linda, elle venait de devenir la première femme à s'éjecter d'un avion dans un siège Martin Baker et seulement la troisième tout court à s'éjecter avec succès. La première fut une pilote en formation, l'enseigne de vaisseau de la U.S.Navy Linda Shaffer, qui s'est éjectée d'un TA-4J le 24 juillet 1981, la deuxième fut le lieutenant Kathryn Cullen, du même escadron que Linda, qui s'est éjectée le 25 mai 1985 d'un Navy T4-A Skyhawk.
Martin Baker, le fabricant britannique de sièges éjectables, organisa une cérémonie pour Linda au cours de laquelle Diana, Princesse de Galles, devait lui présenter une broche en étain spécialement conçue pour elle. « Mais la marine a rejeté ma demande de permission pour me rendre en Angleterre la recevoir, sous prétexte que les militaires ne devaient pas être perçus comme approuvant une entreprise ou un produit. » Il est fort probable qu'en fait l’U.S. Navy refusait de mettre en lumière une aviatrice qui s'était éjectée avec succès parce que la Navy soutenait que les femmes ne devaient pas avoir de rôle au combat.
Il a fallu à Linda un certain temps pour « digérer » son éjection. À peine deux semaines plus tard, en se retrouvant à nouveau dans une autre situation d'urgence elle s'est dit « ce n'est pas possible... pas une deuxième fois », mais avec son co-équipier leur réaction appropriée leur a permis de faire atterrir leur avion en toute sécurité. Quelques mois plus tard, Linda entreprenait un vol trans-continental dans un EA-6A avec la pilote Lt. Kara Hultgreen** « et notre verrière s'est ouverte subitement à 26 000 pieds. Nous avons pu la fermer immédiatement, mais ma tension artérielle est montée en flèche alors que j'avais des images d'une nouvelle éjection ! »
Linda quitte la maison à l'âge de 16 ans. « Je n'étais pas bien dans mon environnement familial troublé, à la suite du divorce de mes parents. Ma sœur aînée s'était engagée dans la marine, alors je l'ai imitée quand j'avais 17 ans. » Elle s'engage comme contrôleur aérien. « Huit mois après le début de ma tournée, mon superviseur (...) m'a encouragée à postuler pour un programme d'officier et j'ai été acceptée. J'aimerais tellement pouvoir le remercier d'avoir vu en moi quelque chose que j'ignorais et son encouragement à ce que je vise les étoiles. » Grâce à une bourse navale, elle a pu faire des études d'informatique à l'Université d’Idaho. « Je n'ai jamais utilisé ma licence universitaire en tant que tel », confie-t-elle en riant, mais son diplôme lui a valu d'être engagée avec le rang d'enseigne de vaisseau.
N'ayant remarqué aucune disparité entre femmes et hommes lorsqu'elle était contrôleur aérien, Linda a été surprise lorsqu'elle est revenue en tant qu'officier en 1986. « C'est à ce moment là que je suis tombée sur des préjugés. L'aviation militaire est un secteur très masculin, ça je l'avais compris, mais je ne voyais pas du tout pourquoi de nombreux aviateurs masculins étaient contre l'idée qu'il y aient des femmes dans leurs rangs et qu’elles volent à leurs côtés. » Son rêve de devenir pilote n'a pas pu aboutir, sa vision n'atteignant pas les 20/20 requis. Elle fut sélectionnée néanmoins pour la formation d'officier de bord (Naval Flight Officer ou NFO en américain). Les NFO gèrent les systèmes de communication et de navigation d’un avion, ainsi que les radars et les systèmes d’armes. Elle fut la seule femme de sa classe à l'école de pilotage d'où elle sortit major. Mais en raison de la loi à l'époque qui excluait les femmes des rôles combattants, elle ne put être affectée qu'à un escadron de soutien. Ceux-ci jouaient le rôle d '« ennemi» pour former les pilotes de chasse. « Nous étions 10 femmes dans cet escadron de 500 personnes. Aucune d'entre nous n’était satisfaite d'être là. Nous étions ravies de voler mais nous étions frustrées par la loi, nous avions eu la même formation que les hommes, nous étions fières d'être militaires, mais nous voulions faire plus. Nous avons eu l'impression d'être bridées », raconte-t-elle.
Lorsque la loi d'exclusion au combat a finalement été abrogée en avril 1993, Linda a rejoint un escadron de combat et a été déployée en Irak pendant l'opération Enduring Freedom à bord de l'USS Abraham Lincoln. « C'était très difficile avec les gars », dit-elle hésitante avant d'ajouter : « certains d'entre eux ont fait de nos vies un véritable enfer ». Linda explique que « les aviateurs noirs et hispaniques étaient très solidaires car ils savaient ce que c'est que d'être une minorité. Je suis toujours amie avec plusieurs d'entre eux », dit-elle, avant d'ajouter qu'aujourd'hui encore elle « ne donnerait pas le bonjour » à certains de ses anciens collègues masculins. « L'avion ne sait pas si c'est un homme ou une femme qui tient le joystick ! Je ne suis pas féministe, mais je crois en l'égalité des chances ». De toute évidence, elle estime que ces aviatrices pionnières n'ont pas été traitées avec égalité. « Aucune des femmes que je connaissais ne voulait qu'on lui fasse cadeau de quoi que ce soit ... nous voulions avancer grâce à notre travail », explique Linda.
L'accident du lieutenant Kara Hultgreen, utilisé pour essayer de prouver que les femmes étaient incompétentes, aggrava la situation. « C'était la pagaille la plus complète », raconte tristement Linda. Elle blâme les hauts gradés. « Le commandant était un bon vieux et même s'il ne s'est pas joint à la pagaille, il ne l'a pas non plus tuée dans l'œuf », dit-elle. « Personne ne s'est jamais excusé » remarque-t-elle, d'un ton acide.
Linda concède qu'à l'époque, elle était « peu confiante et manquait de métier » et que « d'autres femmes s'en sortaient mieux ». Mais au bout du compte ces expériences ont été « de très bonnes leçons et m'ont fournit de précieux outils pour élever mes fils », qui ont maintenant 12 et 15 ans et qui ne sont apparemment pas impressionnés par le passé de leur mère !
Quand elle eut 37 ans, toujours célibataire, « même pas de petit ami », elle prit une décision : « la meilleure que j'ai jamais prise ». Il était temps de s'occuper de sa vie personnelle. Elle s'est alors arrêtée de voler pour passer aux achats et à la gestion des programmes de la Navy. Deux ans plus tard, elle était mariée, elle avait une belle-fille et a donné naissance à ses deux fils à 42 et 45 ans.
Depuis Linda n'a pas chômé : elle a obtenu un MBA, elle a écrit un livre primé Military Fly Moms ~ Sharing Memories, Building Legacies, Inspiring Hope (Les mamans militaires qui volent ~ Partager des souvenirs, construire des héritages, inspirer l'espoir), et aujourd'hui elles est PDG de WomenVeteranSpeakers, la première agence qui propose à ses clients des anciennes combattantes comme conférencières, formatrices d'événements, entraîneuses et facilitatrices. Elle donne des conférences elle-même dans des écoles à travers les États-Unis sur des sujets tels que la Transmission de l'héritage ; le Leadership et les femmes ; les Femmes et les carrières non traditionnelles ; la Marge et l'équilibre dans la vie ; Réussir la transition d'un leadership militaire à un leadership commercial ; et, bien sûr, l'Aviation.
* Cet avion fut retiré de la première ligne au milieu des années 1970, puis utilisé principalement pour la formation des aviateurs jusqu'à sa retraite définitive en 1993.
** Kara Hultgreen, la première femme pilote de chasse embarquée dans la U.S. Navy, est décédée le 24 octobre 1994 à l'âge de 29 ans quand elle s'est éjectée de son F-14 lorsqu'il était pratiquement retourné. Ejectée dans l'océan, elle est morte sur le coup.