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Capitaine de corvette Audrey

La capitaine de corvette Audrey en action. Crédit photo : Stéphane Marc/Marine Nationale/Défense

Audrey est capitaine de corvette dans la marine française. Mais elle pourrait aussi bien être chef d'escadron dans l'armée de l'air ou commandant dans l'armée de terre parce qu'elle a réussi, entre autres, les concours des grandes écoles militaires des trois forces armées ! « Depuis toute petite j'étais attirée par tout ce qui est militaire. J'aimais bien tout ce qui était carré et je voulais faire quelque chose impliquant le travail d'équipe et les voyages. Je ne me voyais pas assise derrière un bureau toute la journée », me dit-elle.

Elle est actuellement directrice de la formation à la lutte au-dessus de la surface à l'ESCAN (École des systèmes de combat et des opérations aéromaritimes). Cette école de perfectionnement des officiers de marine se situe à Saint-Mandrier-sur-Mer sur la côte méditerranéenne ; c’est là que les officiers augmentent leur connaissance de la lutte au-dessus de la surface, de la lutte sous-marine, et des systèmes d’information et de communication.

Son père et son frère sont tout deux dans les CRS, ces unités mobiles formant la réserve générale de la police nationale française spécialisées dans le maintien de l'ordre. Mais elle est la première de sa famille à s'engager dans les forces armées. « J'ai un peu hésité entre l'armée de l'air et la marine. Je craignais qu'il y ait plus de misogynie dans l'armée [de terre], alors je me suis concentrée sur les deux autres. Mais je me suis rendue compte [que les pilotes] ne voyageaient pas autant que je voulais car ils passent beaucoup de temps sur leur base aérienne. Et la marine m'a laissé la possibilité de devenir pilote naval », sourit-elle.

Audrey avait d'excellents résultats scolaires : « J'avais un penchant très scientifique et j'aimais beaucoup les mathématiques et la physique », me dit-elle. Dans la ville méditerranéenne de Saint-Raphaël où elle a grandi les lycéens pouvaient passer tous les samedis à suivre une formation « préparation militaire » avec la marine. Cela impliquait d'apprendre à marcher au pas et à obéir, par exemple. Elle trouve que « c'est un très bon moyen de préparer les lycéens qui envisagent de s'engager dans les forces armées ». 

La jeune femme a finalement opté pour la Marine, qui semblait être l'armée qui lui correspondait le mieux. Les études à l'École navale (où elle a rencontré son mari) durent trois ans, puis les étudiants listent, par ordre de préférence, la spécialité qu'ils aimeraient poursuivre. Audrey a obtenu son deuxième choix : « détecteur », l'officier au cœur des opérations qui fournit des informations vitales au commandant du navire à propos de la situation tactique autour du bâtiment de combat. Pour cela, il observe, analyse et évalue les menaces grâce aux moyens de détection électromagnétique (tels que radars, systèmes d'interrogation IFF (Identification Friend or Foe), balise aéronautique), à la visualisation de l'information tactique (systèmes de combat) et aux systèmes de guerre électronique (scanners, lance-leurres anti-missiles, brouilleurs).

Elle aime le fait qu'à bord du navire on occupe d'autres postes en parallèle de son métier. « Alors, j'ai été officier de pont, officier de détails et officier des sports », m'explique Audrey via Skype, tout en jonglant au téléphone avec son patron et en trouvant un film (avion atterrissant sur le porte-avions Charles de Gaulle !) pour divertir son petit garçon dont la maternelle est fermée ... la nouvelle réalité de la pandémie du coronavirus !

Audrey souligne que la Marine se plie en quatre pour son personnel « parce qu'elle veut garder ses marins et que chaque marin compte ». Elle explique par exemple que, jeune mariée, elle et sont époux pouvait « être tous deux en mer en même temps. Mais depuis la naissance de notre fille, nous veillons, avec l'aide du service des ressources humaines de la Marine, à ce que l'un de nous soit toujours à terre. Et cette personne s'occupe des enfants et de la maison tandis que l'autre est en mer. » Je me demande comment le couple se concerte. « Il faut vraiment avoir une bonne organisation », dit-elle en riant « et nous avons beaucoup de soutien familiale et amicale. Nous avons de la chance d'avoir des grands-parents à proximité qui sont toujours heureux d'aider si nécessaire. » Elle pense que d'être dans la même armée que son mari est important « parce que nous pouvons parfaitement nous adapter l'un à l'autre et que celui qui reste à terre sait ce que fait l'autre et peut comprendre et visualiser exactement pourquoi il n'est peut-être pas possible de discuter au téléphone à ce moment précis. » N'y a-t-il pas de jalousie professionnelle ? je lui demande: « Et bien... » elle hésite, « c'est vrai que ma carrière décolle plus vite que celle de mon mari donc, par exemple, j'ai demandé que mon second commandement soit suspendu car lui n'a pas encore eu de premier commandement. » Audrey a déjà commandé un navire-école avec environ 15 marins et 12 stagiaires à bord.

Dans la Marine française les navires qui n’ont parmi leurs personnel féminin que des officiers sont considérés « non féminisés » tandis que ceux qui sur lesquels évolue du personnel féminin de tous grades sont dits « féminisés ». Le porte-avions Charles de Gaulle avec ses 1 200 marins est l'un de ces navires « et c'est le seul navire féminisé sur lequel j'ai travaillé », remarque Audrey. « J'ai navigué sur des bâtiments où il y avait 250 personnes à bord et nous n'étions que trois femmes officiers mais cela n'a jamais été un problème, je n'ai jamais souffert à cause de mon genre et j'ai commandé des hommes sans aucun problème », souligne-t-elle. Mais elle admet que les choses sont plus faciles pour sa génération (elle a 35 ans) quelles ne l'ont été pour les femmes des générations précédentes. « Elles ont déblayé le terrain pour nous », admet-elle.