Wombat

View Original

Dr Eneka Idiart-Barsoum

Photo personnelle d’Eneka Idiart-Barsoum

Eneka Idiart-Barsoum est une spécialiste de l'optronique et, plus spécifiquement, des lasers. Alors, quand elle me dit qu'elle y est arrivée grâce à sa passion pour la musique, je suis déconcertée. Elle rit. « Quand j'ai réussi mon bac scientifique à 17 ans, je voulais vraiment être ingénieur du son », explique-t-elle « et j'ai donc passé le concours pourintégrer l'École Louis Lumière [NDLR: à l'époque la seule école de cinéma, de la photographie et du son en France] même si normalement on ne devait présenter ce concours qu'après avoir suivi au moins deux ans d'études post-Bac. » Il y avait 25 places pour 1 000 candidats. Elle a échoué.

Mais, comme elle était montée à Paris depuis sa ville natale, Bayonne, dans le sud-ouest, elle y resta pour étudier les mathématiques, la physique, la chimie et l'informatique à Jussieu, Université Pierre-et-Marie Curie.

« Le programme Erasmus venait d'être lancé et j'ai donc pu passer l'année universitaire 1990/91 à l'Université de St Andrews en Écosse », raconte-t-elle. « J'adorais le système anglo-saxon : beaucoup moins scolaire que les universités françaises. J'ai beaucoup apprécié le système de tutorat et la simplicité des profs par rapport à ceux de Paris. C'est à St Andrews que j'ai appris à travailler seule ... et à danser les quadrilles écossaises ! » dit-elle avec ravissement.

De retour à Paris, elle s'inscrit pour poursuivre à la fois des études d’acoustique et d’optique. Sur liste d'attente pour le DEA [Diplôme d’études approfondies] d'acoustique, elle choisit alors celui qu'on lui propose en laser et matière. « Nous étions 40 étudiants, dont six filles, dans ce cours », se souvient-elle « et nous avons étudié l'optique non linéaire, la physique des lasers et l'interaction entre les lasers et la matière. Mais ce que je préférais, c'était l'optoélectronique. J'ai été classée 10e de ma promotion, ce qui m'a permis d'obtenir une bourse pour faire une thèse de doctorat sur les réseaux de diodes laser. »

Elle a obtenu son doctorat en mai 1996, huit mois seulement après son mariage. « J'ai donc pris quelques mois de pause, puis j'ai trouvé un emploi chez Corning à Avon [près de Fontainebleau], où ils avaient leur plus grand laboratoire en dehors des États-Unis et se concentraient sur le développement de la photonique* pour l'industrie des télécommunications. » Mais en 2001, la bulle des télécommunications ayant éclatée, Corning a dû remercier 150 de ses 230 employés à Avon, y compris Eneka.

« Le plus gros secteur après les télécoms qui utilise la photonique c'est la défense et Corning nous a vraiment aidés à prendre contacte avec des employeurs potentiels. C'est ainsi que je me suis retrouvée chez CILAS, chef de projet d'un grand programme de système d'arme : COMETE. » Aujourd'hui CILAS est détenue à 63% par ArianeGroup (Airbus et Safran) et à 37% par Areva.

« COMETE était un projet de recherche visant à développer une contremesure qui rendrait opaques les objectifs des caméras portés par les hélicoptères. Ce projet comportait cinq éléments : nous devions détecter l'hélicoptère à l'aide de l'imagerie thermique; déterminer le type d'optique; faire le pointage laser;  la poursuite de la cible ; et le tir de puissance. Nous avons validé tous ces éléments puis le projet a été arrêté en 2009. »

Je lui demande si cela la gênait de travailler dans la défense, un nouveau domaine pour elle ? « Je ne développais pas d'arme. Mon travail impliquait des contremesures et la détection », dit-elle, « donc ça allait. Mais j'ai trouvé que passer d'un groupe très international comme Corning à une équipe entièrement composée de ressortissants français - une nécessité car nous devions tous avoir une accréditation confidentiel défense - était étrange. Le culte du secret implique beaucoup de contraintes. Entre chefs d'équipes on ne pouvait pas échanger nos chiffres car ils étaient classés ! »

Elle a été la seule femme chef de projet chez CILAS pendant 10 ans et ses équipes étaient toutes masculines.

CILAS est à Orléans. « Lorsque j'ai accepté le poste, j'avais deux enfants en bas-âge et mon mari tenait son restaurant à Fontainebleau, donc nous ne nous voyions que pendant un jour et demi chaque semaine. Je n'avais pas ma famille autour de moi, mais Dieu merci, j'avais une très bonne voisine qui m'a beaucoup aidée. C'était super dur », soupire-t-elle.

« Je pense que la fin de la trentaine ou le début de la quarantaine sont les âges les plus difficiles pour les femmes parce que beaucoup ont de jeunes enfants à gérer et, en parallèle, on leur confie des responsabilités croissantes au travail. » Elle admet ouvertement que cette situation difficile a entraîné un burn out « mais je m'en suis sortie ».

Eneka a siégé au conseil d'administration de CILAS pendant cinq ans.

Aujourd'hui, elle dirige sa propre entreprise, Eneka Consulting. « J'aide les dirigeants des secteurs de la défense, de la sécurité, de la mobilité, de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la santé à élaborer une stratégie d'innovation, à monter des collaboratifs de recherche et à obtenir des financements. » Elle siège également au conseil d'administration de Photonics 21 qui influence directement la politique européenne en photonique.

* La photonique est la science physique de la génération, de la détection et de la manipulation de la lumière (photons) par émission, transmission, modulation, traitement du signal, commutation, amplification et détection.