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Rebecca Emerson-Keeler

Photo personnelle de Rebecca Emerson-Keeler

Rebecca se distingue parmi les femmes que j'ai interviewées jusqu'à présent parce qu'elle s’occupe des dommages collatéraux des conflits et des États fragiles : les réfugiés, les victimes, la traite des êtres humains, le terrorisme.

Fille d'une mère anglaise et d'un père indien, elle a été élevée par ses grands-parents maternels. Son admiration pour son grand-père, pilote de chasse, dont elle a adopté le nom à l'âge de 16 ans, transparaît lorsqu'elle parle de lui et elle admet volontiers que ses histoires « ont captivé mon imagination ». Elle a eu du mal a choisir entre son désir d’ouvrir une librairie et celui de marcher dans les pas de son grand-père. Elle a préféré la deuxième option mais son passage à l’école militaire de Shrivenham n'a duré qu'un mois, car, comme elle le dit en riant, son « attitude rebelle envers l'autorité » et sa conviction que « l'approche militaire n’est pas la bonne pour résoudre les problèmes » l’ont rapidement convaincue qu’elle n’était pas faite pour une carrière militaire.

Elle a obtenu une maîtrise de philosophie et d’Anglais à l'Université de St Andrews en 2005 et raconte que ce qu'elle a appris en cours de philosophie lui est « quotidiennement bien plus utile que si j'avais étudié les relations internationales ». Elle explique que « la sensibilité aux conflits consiste presque entièrement à soupeser des questions difficiles », et que ses clients et les institutions avec lesquelles elle traite : les forces armées et les organisations internationales, « n'ont ni l'espace ni le temps » pour traiter ces questions avec l’approche philosophique nécessaire.

Comme beaucoup de jeunes diplômés, elle a pris son temps pour trouver ses marques : elle a été assistante de recherche pour un député britannique, puis journaliste indépendante avant de travailler comme chercheuse sur les territoires occupés palestiniens au célèbre Centre for Study of Terrorism and Political Violence à St Andrews.

C'est en tant que stagiaire aux Nations Unies qu'elle a été déployée en Irak, juste après le renversement de Saddam Hussein. Sa mission : protéger les réfugiés et en particulier les femmes et les filles contre la violence. Elle a ensuite déménagé en Syrie avec le Conseil danois pour les réfugiés pour y soutenir de jeunes réfugiés. Elle est tombée amoureuse du pays - et, soupçonne-t-on, d'un de ses habitants en particulier - et elle y est restée six ans, partant juste avant le début du conflit.

Bien que la société de conseil qu'elle a créée en avril 2012, Insaan Consulting, soit spécialisée sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, elle ne travaille jamais sur des projets impliquant la Syrie. « Ça fait trop mal, j'avais trop d'amis là-bas », dit-elle d'un ton neutre, mais on détecte une grande tristesse dans sa voix.

Alors, que fait-elle réellement au quotidien? « Je passe beaucoup de temps dans les ministères, assise dans des pièces enfumées, buvant du café fort et négociant », sourit-elle. Par exemple : s'assurer que les fonds d'aide n’ont pas d’effets plutôt néfastes sur la dynamique d’un pays ; ou, se renseigner auprès de l'armée jordanienne pour savoir de quelles compétences et de quels équipements ils ont réellement besoin ; ou, évaluer les programmes d'aide pour voir s'ils ont vraiment fait une différence.

Et le fait qu'elle soit une femme joue-t-il dans son travail au Moyen-Orient ? Elle secoue la tête. « La plupart des problèmes que j'ai rencontrés concernent l'un de mes principaux clients, le ministère de la Défense du Royaume-Uni », dit-elle. « Parce que je suis à moitié indienne, je ne suis pas seulement une femme, mais aussi issue d’une minorité ethnique. Les hommes de la vieille école de ce ministère ne savent pas gérer ça », soupire-t-elle. « En Occident, les femmes doivent adopter une personnalité masculine si elles veulent entrer dans le monde d'un homme. Demandez à n'importe quelle femme dans les forces armées britanniques, et elles vous diront la même chose, tant que c’est en ‘off’ », lance-t-elle.

Au Moyen-Orient, Rebecca me dit: « vous obtenez plus de respect, surtout si vous êtes consultant » de surcroît si, comme elle, vous parlez couramment l'arabe et comprenez le contexte culturel.

Pas du genre à reculer devant les défis, elle et son mari vétérinaire équin, horrifiés par le vote du Brexit, ont plié bagages et quitté le Royaume-Uni avec leur fillette de deux ans pour refaire leur vie en France.

Elle admet qu'avoir un enfant a rendu sa vie plus compliquée. « J'essaie de moins travailler dans des environnements très conflictuels », dit-elle, et son mari et sa fille l'accompagnent si elle doit voyager pendant de longues périodes. « Mais j'ai vraiment besoin de trouver une nounou ! » se lamente-elle, d'autant plus que sa fille approche l'âge de faire sa rentrée scolaire. Pour le moment cependant, elle continue son travail. « J'adore le Moyen-Orient, j’essaie de m’y rendre utile », dit-elle avec passion.