Rochell Tersia Booysen
Rochell, une Sud-Africaine « de couleur » (comme elle se décrit elle-même) issue « d'un milieu très modeste » dont la langue maternelle est l'Afrikaans, « n'a jamais eu l'ambition de rejoindre les forces de défense ». Pourtant aujourd'hui elle est Directrice des Engagements de Défense, en charge de fournir des conseils juridiques et politiques concernant le déploiement de troupes à la Ministre de la Défense Nosiviwe Noluthando Mapisa-Nqakula (qui a elle-même suivi une formation militaire en Angola et en Union soviétique dans les années 80).
Elle est la seule fille de sa fratrie de cinq et la seule à avoir fait des études universitaires, obtenant deux licences : une en sciences sociales et études politiques et une autre en études du développement de l'Université de Johannesburg qu'elle a fréquentée entre 1989 et 1993. « C'était l'apogée de l'apartheid », me dit-elle autour d'un café à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) à Paris où elle participait à un forum sur le continent africain la semaine dernière. « J'étais l'une des 100 non-Blancs dans un corps étudiant de 20 000 personnes », explique-t-elle, en ajoutant qu'elle s'était impliquée dans la vie politique étudiante « pour forcer l'université à nous permettre de vivre sur le campus afin que nous ne perdions pas des heures dans les transports en commun et qu'on puisse participer plus pleinement à la vie étudiante du campus ». Sa récompense ? Un rejet de la part des siens qui l'accusait d'être devenue « trop Blanche » parce qu'elle avait déménagée.
A la fin de ses études, « le grand défi était de trouver un emploi ». Comme beaucoup d'autres jeunes diplômés à travers le monde, elle s'est vu accuser d'avoir « trop de qualifications mais trop peu d'expérience ». Mais il fallait subvenir au besoins de sa petite fille, et il lui fallait absolument une rentrée d'argent alors elle a obtenu un emploi de caissière à temps partiel dans un supermarché. « C'était tellement frustrant », soupire-t-elle. « J'étais absolument désabusée parce que j'avais osé espérer que mes diplômes me serviraient à quelque chose. »
Mais en juin 1996, elle a postulé pour un emploi de niveau universitaire au Ministère de l'Intérieur. Elle a été interviewée par un panel où il n'y avait que des Blancs. « Ils étaient très durs », se souvient-elle, « et j'ai vraiment cru que j'avais échoué après leur avoir répondu sèchement à une question, mais en fait ils testaient ma résilience et m'ont dit que ma réaction leur avait plu et que je pouvais commencer le lendemain matin ». Elle en est encore surprise à ce jour : « Je n'avais que 26 ans, c'était mon premier emploi et j'étais directrice de l'immigration ! »
A ce poste elle n'a pas subie de discrimination de la part des Blancs ni particulièrement de la part des hommes « mais plutôt de la part de mes frères et sœurs Noirs qui pensaient que j'étais un 'outil de l'ennemi' et que que je travaillaiscomme informateur pour les Blancs ». Six mois plus tard, elle a jeté l'éponge « parce que la corruption atteignait de telsniveaux que je n'en pouvais plus ». Elle s'était vu proposer un emploi par le directeur de la chaîne de restauration rapide McDonald's qui avait été impressionné par elle alors qu'elle l'interviewait pour un visa d'affaires ! « J'ai fait six semaines de formation là-bas, et je n'aimais pas du tout ça», dit-elle en riant, « alors je suis retournée à mon ancien emploi au Ministère de l'Intérieur ». Gardant un œil ouvert sur les autres opportunités de travail qui pouvaient s'offrir à elle, elle envoya sa candidature dans les ministères de la Défense, des Collectivités locales et du Logement. « La Défense m'a impressionnée car installée dans de très beaux bureaux et comme elle a été la première à m'offrir un emploi, je l'ai accepté », dit-elle. Elle y est depuis avril 1997. Entretemps elle a obtenu une troisième licence, cette fois de l'Université de l'Afrique du Sud : un LLB de droit constitutionnel et de droit public international.
Rochell a débuté sa carrière au sein du Ministère de la Défense comme agent principal d'administration à la Direction pour le contrôle des armes classiques et, avant 2004, elle avait été promue Directrice adjointe de la politique de défense. Elle a veillé à ce que la Force d'alerte de la SADC (Communauté de développement de l'Afrique australe), l'une des cinq qui composent la Force d'alerte africaine (African Standby Force), devienne opérationnelle. Elle a présidé le groupe de travail législatif militaire de la SADC et reconnaît qu'au début, elle a rencontré « une certaine résistance » de la part de ses collègues masculins « mais je m'exprime à partir d'une base de connaissances et avec confiance, alors je peux leurtenir tête et ne pas céder à l'émotion », fait-elle remarquer.
Elle est également présidente de l'équipe de travail sur l'analyse du cadre réglementaire qui examine toutes les lois applicables à la fonction Défense et, entre 2010 et 2013, a été directrice du contrôle des armes classiques. « C'était politiquement très lourd », note-t-elle sobrement.
Rochell reconnaît qu'elle ne serait pas arrivée là où elle est aujourd'hui sans feu sa mère, une infirmière. « Elle était mon héroïne », dit-elle, sa voix se brisant soudainement et ses yeux se remplissant de larmes. « Elle a toujours dit qu'elle voulait que j'aie un meilleur avenir et elle a vraiment investi en moi et m'a toujours encouragée », hoquète Rochell. « Je n'aurais pas pu gérer sans ma mère », déclare-t-elle simplement. « Elle est restée avec moi pendant six mois après la naissance de mon fils, puis à chaque fois que je voyageais, Mamie était là. Elle a joué un rôle très important. » Tout comme aujourd'hui « Tante Violette » qui « est avec moi depuis la naissance de mon fils pour s'occuper de la cuisine, le nettoyage et le repassage », sourit Rochell.
Alors, la prochaine étape ? Sa fille est adulte, son fils a 14 ans « et je suis maintenant à un bon âge pour occuper un poste international », dit-elle. « Je suis très passionnée par le maintien de la paix et le rôle des femmes dans le maintien de la paix », me dit-elle. Il semble donc logique que c'est dans ce domaine que nous retrouverons cette femme de petite taille, diplomatique, forte, éloquente et confiante, qui dit ne pas être « aussi Noire que je pensais l'être ».