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Sihame El-Amine

Sihame (prononcé comme dans l'ancien nom de la Thaïlande: Siam) est une jeune femme dont l'évolution dans le rugby féminin de premier plan la sert bien dans sa vie professionnelle. « Ce sport m'a appris à alterner des moments de calme avec des moments d'action où il faut être déterminée à avancer, quels que soient les obstacles. » Elle a dû pousser « parfois un peu fort peut-être ! Mais si je ne le faisais pas, je ne serais pas là où je suis aujourd'hui ».

Et cet endroit c'est Directrice Projets et Qualité chez Deveryware, une PME française qui a, entre autres, développé une plateforme de services dédiée aux enquêtes et analyses combinant géolocalisation, big data et criminalistique pour doter la police française d'outils puissants pour la collecte et l’analyse de données. Lorsque Sihame a été nommée à son poste il y a quatre ans, elle était la seule femme au conseil d'administration. Aujourd'hui, elle n'est plus seule « et c'est très bien. L'entreprise a évolué en matière de parité hommes-femmes », note-t-elle.

Sihame a eu plus que sa part de coups durs. À 16 ans, elle a dû quitter son école de sports-études « ni à cause du niveau du sport ni à cause des professeurs mais à cause des autres élèves. J'étais la seule 'étrangère' ; pourtant je suis française. Mais mon nom est différent, ma peau est plus foncée et j'avais peur pour ma propre sécurité. Un jour, ils avaient peint des croix gammées partout sur mon casier. »

Elle a donc été transférée dans une autre école qui ouvrait une section de rugby féminin et où elle pratiquait ce sport deux heures par jour. « Je n'avais jamais joué au rugby auparavant. J'ai découvert que non seulement c'est un sport très complet physiquement mais qu'il y a un esprit d'équipe et de solidarité que j'ai rarement vu ailleurs. La mêlée est vraiment symbolique : tout le monde pousse dans le même sens. »

Elle est restée deux ans, son équipe remportant le championnat de France. Certaines de ses amies et anciennes coéquipières sont désormais en équipe de France. « Mais les joueuses de rugby ne sont pas payées, elles doivent aussi avoir un emploi rémunérateur, alors à un moment donné, j'ai eu un choix à faire car devenir joueuse de rugby professionnelle n'allait pas m'amener très loin ! » Elle a donc opté pour un Master en éducation physique avec l'objectif de devenir professeur de sport. « Mon frère jumeau faisait médecine et a dû s'occuper de patients dès sa première année. Mais dans mon cours nous n'avons pas eu d'élèves en face de nous avant notre quatrième année et c'est là que j'ai compris que je ne voulais vraiment pas enseigner à des enfants qui ne font du sport que parce qu'ils y sont obligés. J'ai toujours pensé que tout le monde était passionné de sport, comme moi! Quelle déception ! » Elle a tenu le coup pendant un an, puis, pas du tout découragée par le peu d'intérêt qu'elle portait jusque là pour les mathématiques et la physique, « j'ai décidé de devenir ingénieure ».

Elle a déposé sa candidature dans la même école d'ingénieurs, l'UTC (Université Technologique de Compiègne), parmi les meilleures du pays, que son petit ami d'alors, aujourd'hui devenu son mari. « À ma grande surprise, j'ai été retenue et j'ai donc passé les vacances à rattraper le niveau en maths et physique. » Les trois années suivantes ont été consacrées non seulement à étudier le management de la qualité et des projets, mais aussi à acquérir une qualification d'entraîneuse de rugby.

Après avoir refusé un emploi à la SNCF (« très lourd et tout sauf rapide »), elle a remarqué une annonce pour un stage de six mois chez Deveryware. Elle a postulé à condition que ce soit un contrat de six mois plutôt qu'un stage. « Je suis sortie de l'entretien de quatre heures avec les directeurs et le PDG, qui se trouvait également être joueur de rugby, avec un CDI et comme chef de projet. Je pense que nous avons passé 40% de notre temps à discuter rugby ! » rit-elle. Elle avait alors 23 ans.

C'était il y a 10 ans. « Mais certains me considèrent encore comme 'la petite jeune' », dit-elle en haussant les sourcils. Lorsqu'elle a été promue à son poste actuel, « mon patron m'a prévenu que ce ne serait pas facile ». Mais elle a été troublée par certaines réactions. « J'ai dû supporter toutes sortes de choses et vraiment gagner ma place », raconte-t-elle, ajoutant sans hésiter que « si j'avais été un homme de 50 ans, ces choses ne se seraient jamais produites, donc je n'avais pas d'autre choix que de sortir les crocs ! » Elle estime qu'il a fallu deux ans après sa promotion pour obtenir reconnaissance et légitimité aux yeux de ses pairs. Le directeur général fit appel à un coach en gestion qui l'a aidée à faire face à certaines situations et aujourd'hui, elle avoue être très reconnaissante à sa hiérarchie pour son soutien indéfectible car « sans eux, je ne serais pas arrivée là où je suis ».

Son conseil aux jeunes femmes confrontées à des collègues masculins qui montrent clairement qu'ils pensent que leur promotion est due à une discrimination positive plutôt que leur aptitude au poste est de « persévérer, ne jamais baisser les bras ».

Sihame El Amine. Crédit photo : Deveryware