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Sophie Rol

Sophie Rol. Crédit photo : Christina Mackenzie

Sophie est responsable de production et la numéro deux dans la hiérarchie à l'usine Arquus de Limoges où sont fabriqués des véhicules blindés pour l'armée française et pour l'exportation. « Tous les mois, on a des objectifs de production à atteindre et c'est ma responsabilité de s'assurer qu'ils le sont », dit-elle. C'est un travail en usine et elle aime ça. Son bureau est en plein milieu de l'atelier pour que « je puisse garder un œil sur la chaîne de production ».

En me faisant visiter, cette jeune femme filiforme avec ses chaussures de sécurité « si confortables que j'oublie parfois de les enlever avant de rentrer chez moi », me parle de boîtes de vitesses et de lignes de production cinétique et d'assemblages d'essieux. Je m'excuse du fait que je n'y comprends pas grand-chose car je ne suis pas mécanicienne. Elle rétorque gaiement : « moi non plus, mais j'ai appris beaucoup de choses » au cours des 17 années écoulées depuis son arrivée dans l'entreprise.

Sophie, comme de nombreux jeunes, n'avait aucune idée de ce qu'elle voulait faire en quittant le lycée. Alors, comme beaucoup, elle a opté pour la faculté de droit « sans grande conviction », admet-elle. Si peu de conviction d'ailleurs qu'elle a abandonné au bout de deux ans. « J'ai passé les quatre ou cinq années suivantes à faire des petits jobs : caissière, restauration rapide... J'avais un appartement, un bon groupe de copains, mais au bout d'un moment j'ai réalisé que je ne voulais vraiment pas passer le reste de ma vie à faire ça. »

Alors elle s'est rapprochée d'une agence de formation. Par hasard, cette dernière, ayant besoin d'un technicien qualité, lui propose de faire un BTS en alternance. « Je n'avais jamais entendu parler de technicien qualité et je n'avais donc aucune idée de ce que cela impliquait, mais j'ai trouvé que les cours étaient très accessibles même avec mon baccalauréat littéraire. La formation était beaucoup axée sur les normes. Tout était très professionnel avec des stages non seulement à l'agence de formation mais aussi dans d'autres entreprises », explique-t-elle.

Deux ans plus tard, elle avait décroché son BTS de technicienne qualité et l'agence l'avait embauchée en CDI (contrat à durée indéterminée).

Je lui demande que fait réellement un technicien qualité. « Il s'agit d'appliquer une méthodologie pour éradiquer un problème à la source », me dit-elle. « Plutôt que de simplement réparer un problème, comme de ré-écrire un numéro de référence illisible sur une pièce, nous examinons pourquoi ce numéro est illisible et nous allons découvrir, par exemple, que la pièce n'est pas correctement introduite dans la machine à estamper. Ça c'est la source réelle du problème et c'est donc à ça qu'il faut trouver une solution. »

Entre-temps Sophie s’est mariée et son mari fonctionnaires été muté à Paris, alors elle a démissionnée pour un emploi dans la capitale auprès de l'institut français de certification des normes, l'AFAQ-Afnor. « Et puis nous avons appris que le département de mon mari serait définitivement installé à Limoges alors j'ai commencé à chercher un emploi là-bas et j'ai été embauchée, avant même de déménager en famille, comme technicienne qualité chez Renault Trucks Defense [qui s'appelle maintenant Arquus et qui est la branche défense du groupe suédois Volvo AB] pour travailler sur le véhicule de l'avant-blindé VAB. » 

« Je n'avais jamais vu de véhicule militaire de ma vie auparavant et je n'avais jamais travaillé dans l'industrie ! Mais ça m'a plu tout de suite », sourit-elle. Le travail consistait à fournir la preuve documentée au client, la DGA, que la qualité des véhicules répondait aux exigences strictes de l'armée française. « C'est dommage qu'à l'école on ne parle pas de faire carrière dans l'industrie, car c’est pourtant passionnément intéressant », dit-elle, un sujet sur lequel elle reviendra à plusieurs reprises au cours de notre conversation.

Être une femme dans un secteur fortement dominé par les hommes ne la dérange pas. « On m'a fait sentir bienvenue et, pour être honnête, c'est parfois un avantage d'être une femme dans un monde d'hommes parce qu'on se fait remarquer. » Et en effet, je note la présence d’une seule autre femme sur la chaîne de production. « Elle travaille au montage des ailes et du câblage », explique Sophie.

En 2010 elle est responsable qualité et quatre ans plus tard, âgée de 37 ans, Sophie sent subitement que son niveau d’éducation n'est plus en phase avec son poste professionnel. Elle a donc fait valoir une validation d'acquis d'expérience (VAE) qui lui a permis, sans diplôme de premier cycle, de suivre un master en qualité, sécurité et environnement à l'école de commerce Kedge à Bordeaux. « J'aime bien les petits challenges », rit-elle en ajoutant que « c'était une décision personnelle pour avoir un diplôme en équivalence avec mon expérience d'entreprise ».

C'est « grâce à l'aide de mon mari » qu'elle put jongler avec ses études, son travail et l’éducation de ses deux jeunes fils.

En 2016 elle savoure une des expériences professionnelles les plus satisfaisantes lorsqu'elle est chargée d'un « war room » (mis en place pour répondre à un besoin urgent en camions de l'armée française) avec des personnels du bureau d'études, des achats, des méthodes et de la logistique. « Toutes les personnes avec lesquelles je n'ai généralement que des contacts téléphoniques ; alors être dans la même pièce qu'eux, et travailler main dans la main, ça a été une expérience professionnelle très riche, très intense », souligne-t-elle.