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Anne Bianchi

Anne Bianchi prouve qu’une femme peut tout à fait faire une brillante carrière dans un domaine éminemment masculin, tout en restant féminine. Crédit photo : Naval Group


A l’époque où le service militaire était obligatoire pour les élèves de l’École Polytechnique, Anne, qui a toujours aimé voyager, s’est dit que l’accomplir sur un bateau serait une bonne façon de voir du pays. « Et c’est comme ça que je me suis retrouvée à naviguer huit mois sur un bateau après avoir passé trois mois à l’école navale. Et j’ai adoré ! » Par la suite, sauf pour une brève incursion dans l’industrie pétrolière, Anne a toujours travaillé dans le milieu naval. Depuis le mois d’avril dernier, c’est elle qui dirige le programme des nouveaux SNLE (sous-marins nucléaires lanceurs d’engins) français chez Naval Group. Discrète, elle ne me dit pas qu’en septembre 2018 elle reçu le « prix spécial du jury », un des 12 trophées remis par le magazine ‘L’Usine nouvelle’ destinés à des femmes aux parcours remarquables au sein du monde industriel.

Les quatre futurs SNLE (des sous-marins à propulsion nucléaire armés de missiles balistiques avec une tête nucléaire) incarneront à partir de 2035 la composante océanique de la force de dissuasion française. Le SNLE est l’équipement le plus complexe construit par l’homme : « C’est une base de lancement [spatial] de Kourou, une centrale nucléaire et un village de 110 personnes dans un navire de 140 mètres, le tout sous l’eau », rappelle le groupe.

Elevée dans une famille d’enseignants à Cannes, bonne en maths au lycée mais « avec un goût pour la technique assez modéré », Anne s’est néanmoins orientée vers l’architecture navale à l’ENSTA (École Nationale Supérieure des Techniques Avancées), à sa sortie de Polytechnique. « Nous n’étions que 20 personnes en archi nav dont une autre femme, une Norvégienne qui était là pour faire son Master. Ces études vous donnent un vernis sur tous les métiers de l’architecture navale mais ce n’est que par la suite qu’on se spécialise et moi je n’ai pas vraiment fait de la technique bateau », m’explique-t-elle lors de notre échange par visio.

Attirée par le monde naval, l’environnement industriel et la gestion de projet, elle se tourne vers la Direction des Constructions Navales (DCN), à l’époque partie intégrante de la DGA (voir glossaire) sous statut militaire. Elle démarre donc sa carrière en 1996 en tant que responsable des systèmes d’information de production sur le programme des frégates saoudiennes Sawari II à Lorient. 

Elle y reste trois ans, mais pose un congé sans solde pour suivre son mari muté au Cameroun, y ayant trouvé elle-même un emploi au sein du groupe Bolloré. Elle est chargée des systèmes d’information pour la logistique de l’oléoduc de Doba-Kribi qui chemine le pétrole brut de Doba au sud du Tchad jusqu’au terminal au large de Kribi au Cameroun. Suite à cette expérience africaine Anne et son époux décident de faire un vrai break. « Mon mari est parti un an en voilier et moi je l’ai rejoint pendant huit mois avec les deux enfants que nous avions à l’époque [le couple en a quatre maintenant] qui avaient 4 et 5 ans. » Le voyage les a emmenés de Hyères en Méditerrané jusqu’à la Martinique, aux Caraïbes, en passant par le Venezuela et ailleurs.

Puis, en 2002, elle met fin à son congé sans solde et revient chez DCN à Cherbourg comme adjointe du directeur du programme de sous-marins Scorpène pour la Malaisie, puis comme chef de projet des études de la plateforme. En 2009, suite au changement de statut de DCN, devenue l’entreprise DCNS, elle quitte le statut militaire (dans lequel, pour diverses raisons pas toujours très transparentes, son évolution n’a pas été à la hauteur de ses attentes) et devient employée sous contrat « convention collective de la métallurgie », comme tous les nouveaux salariés de l’entreprise. 

En 2009, elle est nommée représentante de DCNS en Espagne. « Je m’occupais de relations avec les clients et, grâce au fait que ma mère était prof d’espagnol, je maîtrisais cette langue », sourit-elle.

Image tirée d’une vidéo de DCNS faite le 30 janvier 2014 lors de la livraison du la frégate Mohamed VI, la première FREMM pour le Maroc

Par contre il a fallu qu’elle se mette un peu au Portugais brésilien car en 2016, après avoir dirigé le département d’ingénierie des coques, structures et emménagements à Cherbourg, et eu la responsabilité du programme de frégates multimissions FREMM pour la Marine française, elle part à São Paulo et Rio de Janeiro, directrice du programme de sous-marins pour la marine brésilienne. Elle y restera jusqu’en 2020. Entretemps, en 2017 DCNS devient Naval Group.

En 2019, elle est nommée directrice des programmes sous-marins export avant d’être nommée à son poste actuel en avril dernier. Ce n’est donc pas elle qui a pris de plein fouet l’annonce en septembre dernier de la rupture brutale du contrat que Naval Group conduisait pour construire 12 sous-marins pour l’Australie. Néanmoins, « pour le moral de tout le monde dans le groupe, c’est terrible », dit-elle sobrement.

Depuis le temps qu’Anne travaille avec les sous-marins, il est un peu surprenant qu’elle n’ait pas encore fait de plongée. « Sur les sous-marins export, dont je me suis essentiellement occupée ces dernières années, il n’y a vraiment pas beaucoup de place, donc seuls ceux qui sont indispensables pour les essais embarquent, et ce n’était pas mon cas. En 2004, j’ai eu l’occasion de réaliser une ‘plongée fictive’ de 24h avec l’équipage du premier Scorpène chilien, mais c’était un exercice à quai ! Je vais sûrement embarquer bientôt sur un sous-marin français, et cette perspective m’enthousiasme. »

On aurait pu s’imaginer qu’avec une telle carrière dans le monde extrêmement masculin des sous-marins Anne a dû sacrifier un peu de sa vie familiale. Pas du tout. «  Je suis prête à bosser jusqu’à une certain limite », dit-elle fermement. « Et puis une grande partie de ma carrière s’est déroulée soit à Lorient, soit à Cherbourg, où il est beaucoup plus facile de circuler qu’à Paris pour aller chercher les enfants à l’école, par exempleEt puis nous avons eu l’aide de jeunes filles au-pair. »

Anne a été actrice éphémère lors de son passage à Polytechnique. Mais cette expérience ne l’a pas dispensée d’appréhension lors de ses premières présentations au travail. «  J’avais un trac que je n’ai jamais eu sur scène », rit-elle. Plus sérieusement elle rajoute n’être « pas sûre que mon métier soit plus difficile en étant une femme ; j’ai souvent été bien accueillie dans ce monde masculin même si je suis contente quand il y a d’autres femmes ! »