Wombat

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Camille Boutron

Camille intervenant en septembre 2019 a la Escuela Superior de Guerra Colombia. Photo tirée par Christina Mackenzie de la video.

Camille Boutron, docteure en sociologie, est une experte reconnue sur la place des femmes dans les organisations armées et leur participation aux conflits. Comme ces sujets sont aussi la raison d’être de Wombat et que Camille s’est inspirée pour orienter ses recherches au sein de l’IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’École militaire) de propos tenus par les femmes dont les portraits sont brossés sur ce site, il me semblait très intéressant de l’interviewer à son tour. « Je n’ai pas l’habitude de me retrouver de l’autre côté du miroir », m’a-t-elle dit en riant, mais elle s’est prêtée volontiers à l’exercice même si le jour de notre conversation via Skype interposé elle se remettait doucement d’une infection de la Covid.

Passionnée d’équitation Camille voulait en faire son métier… rêve qu’elle n’a pas tout à fait abandonnée d’ailleurs ! Pas très enthousiasmée par les études, elle fait néanmoins une Licence d’Histoire où elle découvre les études du genre. Elle poursuit avec une maîtrise d’histoire et choisit pour son mémoire un sujet « qui me permette de réfléchir sur ma propre trajectoire » : la participation des femmes aux Jeux Olympiques entre 1896 et 1948.

C’est pendant qu’elle écrit ce mémoire que l’attentat suicide de Wafa Idriss en 2002 « m’a fait réfléchir sur l’implication des femmes dans la violence, et le fait qu’elles pouvaient concrètement occuper des fonctions combattantes en situation de conflit ». Mais c’est juste une idée qui lui traverse la tête « sans non plus rester une idée fixe ».

Puis elle part rendre visite à sa mère, installée à Montréal, et poursuit son périple par un voyage en Equateur et au Pérou. « Constater que l’Europe ce n’est pas le nombril du monde a été une grosse claque », remarque-t-elle. Le continent sud-américain devient une passion, au point de remplacer l’équitation. « Du coup j’étais obsédée par l’idée d’y retourner et le DEA que j’ai fait n’était qu’une excuse pour retourner faire du terrain en Amérique Latine !» Elle admet aussi en souriant que sa rencontre avec un habitant de Cuzco (Pérou) n’était pas tout à fait étrangère à sa décision !

Camille commence alors un DEA en sociologie à l’Institut des Hautes Études sur l’Amérique Latine (IHEAL) « et pour le mémoire de fin d’année je me suis intéressée au travail de femmes dans la police national péruvienne ». Elle se voit offrir par l’IHEAL une bourse de thèse pendant trois ans. « C’est irrefusable », dit-elle dans un grand éclat de rire. Pour quelqu’un qui ne voulait pas faire d’études, la voilà doctorante !

« A l‘époque je mange, je dors le Pérou ». Le sujet de sa thèse est alors tout trouvé car 50 % des combattants et 40 % des cadres de l’insurrection armée Sendero Luminoso (Sentier lumineux) – très active entre 1980 et 1997 mais pratiquement disparu au XXIe siècle – étaient des femmes. Elle travaille sur les trajectoires des femmes qui ont participé à ce conflit, entraînées dans un processus militaire, aussi bien au sein des groupes rebelles MRTA (Mouvement Révolutionnaire Tupac Amaru) ou Sentier Lumineux, mais aussi dans les patrouilles civiles d’auto-défense. Camille cherche à savoir ce que cette participation a changé dans les rôles sociaux de sexe, et comment ces changements éventuels influent sur la reconstruction du tissus social post-conflictuelle.

Elle soutient sa thèse en décembre 2009, qu’elle transformera en livre intitulé Femmes en armes. Itinéraires de combattantes au Pérou.

Camille sur le terrain dans un camp de réintégration des FARC en Colombie en février 2017. Photo personnelle.

Après un premier post-doctorat à Montréal, et un second à Lima, 2013 marque la fin de la période péruvienne pour Camille. Elle est embauchée comme maître de conférence par l’université de Los Andes à Bogotá en Colombie en 2015 où elle poursuit ses études sur les femmes et les conflits armées, notamment les femmes qui œuvrent au sein des FARC (forces armées révolutionnaires de Colombie). « Il y avait entre 25 %  et 30 % de femmes au sein des FARC organisées comme une armée. C’est cela qui m’a familiarisé avec l’armée », explique-t-elle. 

Mais son poste ne lui plait pas « même si je gagnais très bien ma vie », son conjoint a du mal à s’adapter et le besoin de remonter à cheval commence à se faire pressant. « J’ai aussi eu besoin, après une dizaine d’années en Amérique latine, de me ‘recentrer’ et de reprendre pied avec mon point d’origine, la France », explique-t-elle. Au bout de deux ans et demi la décision est prise de revenir en France où non seulement elle entre à l’IRSEM mais elle remonte à cheval !

Ses recherches actuelles portent sur les politiques internationales du genre dans le cadre de la paix et de la sécurité et sur la place des femmes dans les armées. « En accédant aux postes de combat, les femmes militaires ont un accès inédit à la violence légale et deviennent des agentes de la puissance d’État, alors que jusqu’à présent elles en avaient été écartées. D’un coup, les femmes ne sont plus un groupe à protéger mais peuvent aussi, au même titre que les hommes, être le bras armé de la nation, ce qui sous-entend un risque de perdre la vie (et de l’ôter). En ce sens on est face à une rupture brutale avec les représentations traditionnelles autour de la place des femmes dans la société et d’un supposée ‘nature féminine’ : en devenant militaire les femmes rompent avec ces stéréotypes, surtout lorsqu’elles accèdent à la fonction combattante, d’où le fait qu’elles en sont généralement écartées », soutient-elle. 

Camille. Photo personnelle.

Aujourd’hui encore ce choix n’est pas bien accepté par certaines personnes « particulièrement dans l’armée de terre française. À St Cyr il y a une minorité catho/tradi, une espèce de communauté dans la communauté, qui rend la vie des jeunes femmes élèves officiers difficile. D’ailleurs 100 % des femmes en bavent à St Cyr. Même s’il existe des dispositifs leur permettant de s’exprimer (comme les référents mixités), le risque d’être « grillée » si elles dénoncent le sexisme et la violence est encore parfois trop grand, alors elles préfèrent souvent ne pas ‘faire trop de vagues’. Elles sont déchirées entre la permanence de diverses formes de discrimination sexistes dans les armées et leur loyauté et leur engagement et attachement pour leur métier et compagnons d’armes. Elles sont coincées car on leur demande à la fois d’être femmes mais aussi d’être des militaires au même titre que les hommes. Mais ces femmes officiers, en accédant aux plus hauts postes de commandement, comme c’est censé être le cas pour les officiers ayant fait Saint Cyr, vont éventuellement amener des changements qui ne sont pas souhaités pas tous », observe-t-elle.

Camille est très sollicitée par les tables-rondes et les conférences pour y partager ses connaissances et d’en parler avec une fraîcheur, somme toute, peu académique !