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Céline Craye

Céline devant quelques-uns des drones que le système Cerbair a vaincu. Crédit photo : Christina Mackenzie

« Je comprends mieux pourquoi ma mère m’avait prévenue que la naissance du premier enfant incite beaucoup de femmes à jeter l’éponge professionnelle », sourit Céline, maman d’un petit Théodore de quelques mois et cheffe de l’équipe de développement logiciel chez Cerbair qui fournit aux gouvernements des solutions anti-drones. Elle admet que devenir maman change forcément le rapport au travail en ajoutant qu’il est très fatiguant de commencer une deuxième journée lorsque celle du bureau (ou, en ce moment, du télé-travail) est terminée et ce, même si son conjoint joue pleinement sa part.

Néanmoins, comme sa mère, elle ne lâchera pas prise « Mes deux parents sont ingénieurs et ont toujours travaillé dans la technologie ; je pense que c’est pour cela que depuis toute petite je voulais aussi faire des maths et de la physique. »

Bonne élève dans un lycée de la région parisienne, Céline se voit plutôt chercheuse qu’ingénieure. « Je ne voulais pas spécialement être ingénieure, d’ailleurs même aujourd’hui j’aurai du mal à dire ce qu’est un ingénieur », remarque-t-elle. Néanmoins, elle ne se lance pas dans des études universitaires. Elle entame à la place une « prépa », ce cursus unique à la France (me semble-t-il) qui consiste à prendre les meilleurs élèves du pays, les concentrer dans des lycées qui proposent cette formation et les faire bucher comme des bêtes pendant deux ans sur des maths et de la physique pour préparer les concours d’entrée aux Grandes Écoles (voir glossaire). Elle n’a pas aimé la prépa mais concède que l’expérience est « très formatrice ».

Admise à Télécom Bretagne (aujourd’hui IMT Atlantique), elle aborde la formation avec anxiété car « il y avait beaucoup de programmation, que j’en avais fait zéro et que ce qui m’intéressait avant tout c’était la physique. Puis je me suis rendue compte qu’on peut très bien apprendre la programmation : c’est un peu comme des Legos et je me suis prise au jeu ! »

En 2011, à la fin de sa deuxième année d’études, elle prend une année de césure pour partir au Canada faire un stage à l’Institut National d’Optique à Québec. « Je ne m’étais pas rendue compte à quel point le québecois parlé est différent du français ; au début j’étais exténuée en fin de journée par les efforts fournis pour comprendre ce qu’on me disait ! » rit-elle.

Elle rentre en France pour finir ses études mais ayant goûté à l’aventure canadienne elle n’hésite pas à sauter dans le premier avion quand, au milieu de sa troisième année à Télécom Bretagne, on lui propose un projet de recherche dans l’Ontario pour y faire un Master en Sciences Appliqués. Cette fois-ci elle est accompagnée par son conjoint, rencontré sur les bancs de Télécom Bretagne. « J’étais à l’Université de Waterloo, dans la ville éponyme [à mi-chemin entre Toronto et Detroit aux USA] qui consiste en gros en quelques grandes rues larges et un peu vides avec un Walmart à une extrémité, le campus avec plus de 40 000 étudiants et c’est à peu près tout ! C’est d’ailleurs pour cela qu’au bout de deux ans nous sommes rentrés en France », explique-t-elle. Ayant eu très peur de ne pas comprendre les cours en anglais, elle fut agréablement surprise de n’avoir aucun soucis. Et c’est à Waterloo qu’elle commence à travailler sur l’intelligence artificielle, sujet qui intéresse au plus haut point Thales qui l’engage dès son retour en France comme thésarde pour travailler sur l’intelligence artificielle appliquée à la robotique.

Elle soutient sa thèse « Apprentissage incrémental de la saillance visuelle par des mécanismes de motivation intrinsèque » en avril 2017 et Thales l’engage dans la foulée. Ce n’est que quelques mois plus tard qu’elle est contactée par la start-up Cerbair qui cherche des personnes spécialisées dans l’intelligence artificielle pour développer leur système anti-drone. Celui-ci interrompt la communication entre le pilote et son drone rendant le drone inopérant. « Ce qui me plaisait dans une start-up c’est l’impact direct que mon travail a sur le produit, tandis que dans un grand groupe comme Thales je travaillais dans un laboratoire et mon travail n’aurait pas eu d’impact sur des produits avant des années… et encore ! »

Comme le système anti-drone de Cerbair est destiné aux militaires et à la police, la start-up a engagé un certain nombre d’anciens militaires. Céline admet que leurs discussions à l’heure du déjeuner sur leurs opérations militaires passées ne l’intéressent pas beaucoup. « La partie militaire n’est pas ce qui me plaît le plus. Moi ce qui me plaît c’est faire de la science et d’avoir un vrai impact pour aider les gens », souligne-t-elle.

Discrète, cette jeune femme calme et posée omet de signaler que c’est elle et son collègue Salem Ardjoune qui gagnent une compétition organisée par l’IEEE (Insitute of Electrical and Electronics Engineers ou l’Institut des Ingénieurs électriques et électronique) en 2019 lors du 16e International Conference on Advanced Video and Signal Based Surveillance (AVSS) contre d’autres équipes de chercheurs (de l’Allemagne, l’Australie, la Belgique, l’Espagne, la Grande Bretagne, la Grèce, l’Italie, et la Roumanie) pour détecter et différencier un drone parmi des oiseaux !