Lisa Åbom
Lisa Åbom est une des cadres dirigeantes de Saab, l'entreprise suédoise de défense. Elle est vice-présidente et directrice de la technologie pour Saab Aeronautics, un poste créé il y a un an qu'elle est la première à occuper. Au bout de notre conversation de 45 minutes, j'ai compris que cette charmante femme à une poigne de fer dans un gant de velours.
Elle rit quand je lui demande si elle vient d'une famille aéronautique ou militaire. « Non, une famille d'universitaires », me répond-elle. Mais malgré un doctorat en physique des matériaux obtenu à l'Université de Linköping, où elle a également obtenu un master en physique appliquée et en génie électrique, elle n'avait pas envie de poursuivre une carrière universitaire. « Mon intention a toujours été de travailler dans l'industrie car, entre autres, il y a beaucoup de concurrence pour les budgets de recherche dans le monde universitaire », me dit-elle dans son grand bureau aéré au siège de Saab à Linköping où des photos discrètes de ses deux enfants décorent une étagère et un tableau blanc est couvert de mots écrits de façon très lisible. Ce qu'ils signifient je ne peux vous dire, le suédois n'étant pas mon fort !
Lisa a rejoint Saab il y a sept ans pour diriger le bureau d'études aéronautique et armement. « Je venais d'un laminoir d'aluminium où j'étais responsable du développement d'alliages d'aluminium et de procédés pour fabriquer des tôles d'aluminium minces. L'entreprise pour laquelle je travaillais (Svenska Metallverken) fabriquait de l'aluminium pour l'avion Saab J-29 Tunnan, le Flying Barrel, donc il y a un lien de travail ! » sourit-elle.
Lorsqu'elle a rejoint Saab, elle admet ne savoir que peu de choses concernant les produits de l'entreprise. « Il faut apprendre à les connaître, sinon on peut être induit en erreur », note-t-elle, alors elle s'est mise à la tâche, demandant à ses supérieurs de la mettre à travailler sur des projets qui élargiraient sa base de connaissances. « Je me suis aussi rendue compte que j'étais douée pour faire ressortir le meilleur chez les autres », explique-t-elle, ajoutant que depuis lors, elle occupe des postes de direction « et j'ai presque toujours managé des hommes ! » En réponse à ma remarque que dans ce cas, il est étrange qu'elle n'ait pas étudié la gestion, elle rit et répond : « J'ai oublié de vous dire que j'ai également un Executive MBA de la Stockholm School of Economics ! »
Mais elle savait que ses subordonnés avaient 20 ans d'expérience et se trouvaient un peu déstabilisés qu'une jeune femme, qui ne connaissait apparemment pas grand-chose à leurs produits, devienne leur patron. « Il ne faut pas se soucier de ce que les gens pensent de vous et patienter en attendant de faire vos preuves. » Mais elle admet que cela la mettait parfois très en colère, émotions qu'elle garde sous contrôle en allant au gymnase sur le site de Saab au moins une fois par semaine et en jouant au hockey en salle. « Au début, j'avais une sorte de masque public mais c’est alors difficile d'être soi-même. »
Elle est ensuite devenue responsable du développement de la cellule où elle a dirigé quelque 800 personnes. « J'ai tendance à penser qu'être une femme dans une mer de costumes gris présente un avantage, précisément parce que vous êtes toute seule. On se souvient toujours de moi. » Dans les réunions et les conférences, si les gens essaient de discuter avec elle de « choses frivoles, alors je leur remets ma carte de visite où ils voient non seulement le poste que j'occupe mais aussi que j'ai un doctorat, et puis je dirige la conversation pour parler de questions importantes, celles qui devraient nous occuper. C’est de ma responsabilité de veiller à ce que les hommes me prennent au sérieux », souligne-t-elle. Son conseil aux jeunes femmes débutant dans leur carrière est d'utiliser leur féminité « comme un avantage. Il est très important de ne pas se poser en victime. Tu dois croire en toi. Sois ce que tu veux être. Et amuses-toi, sois à l'aise, trouves ton propre espace et ne t'inquiètes pas de ce que les autres peuvent penser. » Mais elle est aussi convaincue que les femmes doivent assumer la responsabilité de leurs propres expériences. « Si tu ne peux pas faire face, alors fais autre chose. Prends les décisions toi-même. »
Lisa admet que cela peut être sans doute plus facile dans un pays comme la Suède où les opportunités sont mieux partgées entre hommes et femmes que dans beaucoup d'autres pays. Son mari assume sa part pour élever leurs deux jeunes enfants « et ma mère joue aussi un rôle très important », ajoute-t-elle.
Son travail aujourd'hui ne consiste pas à gérer les gens, mais plutôt à établir une stratégie à long terme. « Nous regardons 30 ans devant nous, nous réfléchissons aux programmes des prochains avions de chasse européens, nous essayons d'imaginer comment y inclure les nouvelles technologies qui apparaîtront sans doute d’ici là, en nous demandant si c'est la meilleure voie à suivre », explique-t-elle. Et, avec des yeux pétillants, ajoute « C'est passionnant ! »