Brigadier Gwenaëlle
Au cours des deux dernières années, le brigadier Gwenaëlle du 1er régiment de spahis a été la seule femme du 'peloton d'aide à l'engagement amphibie', peloton spécialisé du régiment dans le combat amphibie et le renseignement. Elle a tenu deux ans mais après mure réflexion, elle a demandé à quitter cette unité habituée au combat embarqué (qui passe sous format débarqué depuis octobre 2020) car « c'est très usant, ça me fatigue beaucoup et cela demande beaucoup, beaucoup de sacrifices ». De surcroit elle pensait constituer « trop un poids » pour ses camarades d'armes, alors depuis mi-novembre elle l'a quitté. Mais, souligne-t-elle, si c'était à refaire « je ferais exactement la même chose. Je n'ai pas signé pour être tranquille ! »
Cette femme de 1m58 pour 52kg était l'opératrice radio du peloton, alors non seulement devait elle porter le même équipement que ses camarades masculins, pesant jusqu'à 20kg, mais elle devait également supporter les 6 ou 7kg supplémentaires du poste radio. « Au début je défendais fermement l'idée qu'une femme peut faire exactement les mêmes choses qu'un homme, mais aujourd'hui je me rends compte que ce n'est pas vrai. Je n'ai pas les mêmes capacités physiques qu'un homme et même si je m'entraîne beaucoup je suis, je pense, encore juste pour accomplir les types de missions demandés », admet-elle.
Ses supérieurs hiérarchiques ont tenter de la dissuader, arguant que si elle ne possédait pas la même capacité physique que ses camarades, elle avait « beaucoup d'autres atouts, notamment une force psychologique et mentale remarquable, un sang-froid à toute épreuve, une ténacité à l'effort et une loyauté d'une grande fiabilité », d'après le Lt. Côme, son ancien chef de peloton. Mais sa décision était ferme. « Ça ne sert à rien de vouloir rester quelque part. J'y ai appris énormément de choses et cela va me manquer, mais il faut faire des choix. »
Gwenaëlle a choisi de servir dans le 1er régiment de spahis basé à Valence, aux pieds des Alpes, car c'est le régiment le plus proche du lieu où elle a grandi. Devenir militaire était son rêve de petite fille, finalement exaucé en empruntant des chemins de traverse. Un bac professionnel en horticulture en poche, elle entreprit une licence en agriculture raisonnée certification environnemental. « J'ai beaucoup aimé, mais je ne souhaitais pas poursuivre jusqu'au Master. J'avais 22 ans, je voulais voir ailleurs, découvrir un peu le monde alors je suis partie à Londres comme fille au-pair et pendant mes congés je voyageais un peu partout en Europe. » A 24 ans, son rêve militaire toujours en tête, Gwenaëlle se décide finalement à franchir le pas. Elle tente la selection pour l'école des sous-officiers de Saint Maixent ; seulement, n'étant pas bien préparée, elle échoue. « Je me suis donc engagée comme militaire du rang ». Elle songe aujourd'hui à repasser ce concours.
Elle a choisi la spécialité de la transmission radio ; c'est donc dans cette fonction qu'elle part une première fois au Mali. « Mais sur les quatre mois du déploiement, j'en ai passé deux à travailler dans un bureau, tout ce que je n'aime pas ! » s'exclame-t-elle. Pendant ce déploiement Gwenaëlle se rend compte qu'elle veut être combattante et pour cela il lui faut changer de spécialité. Rentrée du Mali en 2018, elle passe le certificat militaire élémentaire ce qui lui permet de grimper au grade de caporal. Après réflexion elle décide de garder sa fonction de transmetteur radio « car il faut des transmetteurs partout » et de se porter candidate pour le peloton d'aide à l'engagement que son régiment veut mettre sur pied pour s'aligner sur les six autres régiments de la 6e brigade légère blindée. Elle réussit les tests mais s'ensuit une discussion parmi sa hiérarchie, certains trouvant que la présence d'une femme dans un tel peloton pourrait se révéler problématique. Ces atermoiements débouchent quand même sur son acceptation dans le peloton comme transmetteur et combattante. « J'avais ce que je voulais », déclare-t-elle tandis que le Lt. Côme ajoute que « les doutes sur sa légitimé au peloton ont très vite été levés par son implication et son engagement total dans l'instruction et l'acquisition des procédures ainsi que dans le dépassement physique et mental dont elle a fait preuve ».
En 2019 elle est déployée de nouveau au Mali, habituée cette fois à la chaleur et aux odeurs qui l'avaient tant surprise la première fois et armée, entre autres, de produits à enduire sur ses cheveux pour éviter qu'ils s'abîment autant que lors de son premier séjour ! « Au 1er Mali j'étais dans un poste avancé et j'ai été agréablement surprise par les conditions de vie. Nous avions une tente compartimentée, alors chacun avait son espace privatif. Il y avait une autre femme caporal alors du coup on s'aidait. Pour nous doucher, par exemple, on avait fabriqué un paravent avec du grillage à poules et une bâche ! Mais au 2ème Mali le poste avancé était beaucoup plus rude : il n'y avait pas de compartiments dans la tente et j'étais la seule femme avec sept mecs. Alors pour me doucher je me suis fabriqué une cabine de douche en tendant des bâches entre les véhicules lors des missions hors du poste avancé. Les gars trouvaient ça très bien et s'en servaient aussi ! » rigole-t-elle. Elle rajoute qu'elle gardait une brassière, même la nuit, pour pouvoir se lever très vite si besoin.
D'ailleurs, très consciente du fait que lors d'une attaque « on va viser la femme » elle dissimulait son genre avec son casque, des lunettes de soleil et un chèche qui la protégeait aussi du sable et du vent. « Mais quand on entrait dans un camp nomade, là, au contraire, j'enlevais tout ça pour que les femmes sachent qu'elles avaient une femme en face d'elles. Cela brisait la glace. »
En réponse à ma question concernant les relations avec ses camarades masculins, Gwenaëlle reconnaît qu'elle peut paraître distante et froide au premier abord, ce qui me surprend car ce n'est pas du tout ce que je constate pendant notre discussion plutôt chaleureuse sur WhatsApp. Mais elle m'explique que « c'est ma façon de me protéger et comme ça je ne suis pas embêtée ». Et puis une fois qu'elle s'est construite un cercle, elle peut alors baisser le masque.
La jeune femme de 27 ans reconnaît que « l'armée nous apprend beaucoup, beaucoup de choses » et note que parmi les faits qui l'auront le plus marquée « c'est que ça m'a permis de me connaître, de faire preuve de résilience, d'encaisser les chocs émotionnels. » Elle a auparavant brièvement mentionné le décès de son camarade de peloton, le brigadier-chef Ronan Pointeau, mort au Mali le 2 novembre 2019 lors d'un attaque contre son véhicule blindé léger. C'est Gwenaëlle, ayant mieux amorti le coup psychologiquement que ses camarades, qui prend le poste de pilote laissé vacant par la perte de son camarade et l'évacuation sanitaire d'un autre en état de choc. Elle gardera ce poste jusqu’à la fin du mandat. « C'est le soutien de ma famille et surtout de mes amis qui m'a fait tenir. J'ai reçu énormément de colis au Mali à Noël, ça fait chaud au coeur », sourit-elle.
Cela peut sembler curieux, mais Gwenaëlle n'était pas une grande sportive à l'origine. Elle avait même tendance à éviter sa pratique autant que possible ! « Un an avant de me présenter au bureau de recrutement j'ai fait appel à un coach, Jimmy. C'est lui qui m'a appris beaucoup de choses, » raconte-t-elle en ajoutant avoir eu recours de nouveau à ses services quand elle a voulu préparer sa candidature au peloton d'aide à l'engagement. « Maintenant je ne peux plus me passer de sport. En faire au Mali, par exemple, c'est un échappatoire ! »