Lieutenant Laura
Laura ne sera jamais employée au sein de la force stratégique française car elle a la double nationalité franco-libanaise. Mais à part cela sa bi-nationalité, qui « est assez atypique » parmi les officiers de la Marine française, n'entravera pas sa carrière, me confie-t-elle lors de notre appel vidéo WhatsApp quelques jours avant qu'elle ne reprenne la mer en tant que commandant du Laplace, un bâtiment hydrographique.
La mère de Laura est française, son père libanais. Sa sœur et elle ont grandi à Saida, à environ 45 km au sud de Beyrouth, le long de la côte. « J'ai vécu au Liban dans les années 1990 et jusqu'en 2005 ce qui correspond à une phase de guerre. J'ai donc une expérience personnelle de l'autre côté du conflit, du côté civil », explique-t-elle sobrement. Et cela lui donne une vision légèrement différente de celle de ses collègues officiers français. « Je pense que je sais dans quoi je m'implique et je suis consciente des conséquences de mes actes lorsque des armes sont utilisées », dit-elle en ajoutant que « je ne suis pas plus légitime mais j'ai probablement un point de vue différent ... ce qui n’est pas nécessairement mieux. »
Personne dans sa famille d'architectes, d'avocats et de pharmaciens n'était lié aux forces armées au Liban ou en France. Ses parents ont donc pensé que son ambition de s’engager dans la Marine était une lubie d'adolescente. « Ils ont vraiment compris que j'étais sérieuse quand j'ai été acceptée à l'École navale », sourit-elle.
Laura explique que le Liban « reste un pays oriental un peu misogyne et j'ai toujours refusé ça ». De plus, lorsqu'elle a quitté l'école en 2005, « il fallait être très pistonné et savoir sur quelles ficelles tirer pour avoir un job, que vous soyez un homme ou une femme ». Elle aurait pu choisir de s'engager dans les forces armées libanaises « mais les métiers opérationnels sont fermés aux femmes. Je voulais commander des hommes, c'est pourquoi j'ai choisi de m’engager dans les forces armées françaises », raconte-t-elle.
Elle n'a pas envisagé de s'engager dans l'armée de terre « parce que je n'ai pas le physique pour. Je suis sportive mais je n'ai pas la puissance »; elle a éliminé l'armée de l'air « parce qu'on est soit dans les airs, soit au sol, le choix des professions est donc limité », mais la marine offrait « un vaste éventail de métiers ». Un navire, remarque-t-elle, est comme un village où des métiers allant du cuisinier au médecin, du mécanicien moteur au spécialiste des radars sont vitales « et donc même si ma seule connaissance de la marine provenait de magazines, j'ai décidé que c'était dans cette arme que je voulais m'engager ».
Elle avait 18 ans lorsqu'elle a quitté le Liban avec deux baccalauréats en poche (le français qu'elle a passé en tant que candidate libre et le libanais qu'elle a fait au lycée) pour passer deux ans chez ses grands-parents près de Paris à faire « très peu de choses que de préparer les concours aux Grandes Écoles, dont les différentes écoles militaires. » Heureusement, elle a été admise à l'École navale « parce que même si j'avais un vague plan B pour intégrer une école d'ingénieurs, cela aurait été une vraie déception si j'avais dû le faire. »
Laura me dit ne pas avoir été surprise que seule une douzaine de filles soit présente dans sa promotion d'environ 80 à l'École navale en Bretagne. Elle trouve que les jeunes femmes ont souvent une fausse image des forces armées et pense qu'au contraire elles ont un avantage en ce que « les rapports humains sont beaucoup plus simples avec une femme et encore plus quand on est mère de famille », (elle a un fils de 4 ans). « Je pense que nous permettons aux gens de tomber les masques et de parler plus librement qu’ils ne le feraient à un homme. » En tant que commandant de son navire elle a eu dans son bureau des jeunes hommes qui sont venues pleurer sur leur enfance, battus par un père alcoolique, tandis que d'autres étaient effondrés face à des problèmes d'infertilité. De son côté elle peut se « libérer d'un trop plein d'émotion parce que, sans révéler l'identité de qui que ce soit, je parle à mon mari et mes parents car il faut savoir ne pas tout garder sur soi », dit-elle.
Son mari, marin lui aussi « connaît donc bien le métier ». Elle m'explique qu'une fois qu'un couple de marins a des enfants, l'administration veille toujours à ce qu'au moins un des parents ait un emploi à terre. « Nous nous sommes organisés pour que lorsque ma mission en mer se terminera cet été, mon mari ira en mer à son tour et je resterai à terre à m'occuper de notre fils et du deuxième enfant que nous espérons avoir. » Elle admet cependant que son fils la "punit" quand elle rentre à la maison en « ne voulant pas que je lui lise l'histoire avant de se coucher pendant quelques nuits... mais mon mari subira la même punition quand il rentrera de mission ! »
Lorsqu'elle s'est engagée dans la Marine elle s'est spécialisée dans la lutte au-dessus de la surface et l'artillerie « mais la Marine veut que ses officiers soient très polyvalents alors on ne reste pas très longtemps dans sa spécialité ». Dans son cas, elle est restée quatre ans. Malgré la formation elle était inquiète son premier jour comme commandant d'un bâtiment. « Est-ce que je vais être à la hauteur ? » se demandait-elle. « Ce n'est pas comme conduire sur une route : il n'y a pas de marquage au sol et il faut prendre en compte de nombreuses variables comme les courants, les vents, les marées. » Mais c'est clairement une grande partie de l'attrait pour elle. « Je suis tombée en amour de la mer, » dit elle dans un grand sourire.