Maréchal des logis Kathleen
Il ne faut pas penser que s’inscrire à Pôle Emploi est une perte de temps. Car c’est par ce biais — plutôt inhabituel pour une militaire — que Kathleen a débuté sa carrière dans l’armée à presque 27 ans et se retrouve aujourd’hui contrôleur aérien et instructrice au 3e régiment d’hélicoptères de combat !
Kathleen, bonne en maths, a passé un bac STG en gestion d’entreprises. Issue d’une famille de non-militaires dans le Loiret, elle avait souvent travaillé pendant les vacances dans l’atelier de reliure qui employait ses parents mais ne se voyait pas faire la même chose. Elle continua donc ses études, passant un diplôme universitaire technologique (DUT) en gestion d’entreprise, qui se fait en deux ans en France, et enchaîne une troisième année pour décrocher une licence professionnelle en création et reprise d’entreprise. Son idée est de travailler dans une chambre de commerce pour « voir du monde ».
Pour ce faire, elle sait qu’il lui faut améliorer son anglais, donc en 2013 elle s’inscrit à Education First et part six mois à Brisbane en Australie. Hébergée en famille d’accueil avec cinq autres jeunes d’horizons divers, elle maîtrise vite l’anglais, la seule langue qu’ils avaient en commun. « Quand je suis revenue, je parlais anglais avec un fort accent australien », rit-elle. Malheureusement, à son retour en France, Kathleen se retrouva face à la suppression de nombreux postes en chambres de commerce suite à la décision gouvernementale de redessiner la carte des départements et régions de France.
La jeune femme enchaîna alors des petits boulots, histoire de mettre assez d’argent de côté pour bourlinguer quelque temps en Asie avec des copains. C’est à son retour qu’elle reçut ce fameux coup de téléphone de Pôle Emploi Cadre, qui recherchait, pour le compte de l’armée et de la marine, des diplômés supérieurs. « J’avais 25 ans, presque 26, et je pensais que j’étais déjà trop vielle, mais on m’a expliqué que ce n’était pas le cas. » Après en avoir parlé avec son compagnon, avec qui elle est aujourd’hui pacsée, elle a entamé des discussions avec l’armée de terre, car, rigole-t-elle, « je souffre beaucoup du mal des transports, alors la marine ce n’était franchement pas pour moi ! ».
Kathleen rencontre le bureau de recrutement en juin et décide en août de débuter les démarches. Vu son niveau d’anglais (même si elle n’est pas reçue comme linguiste d’écoute), son niveau en maths et sa bonne visualisation en trois dimensions, elle est orientée vers le contrôle aérien. Le temps de compléter les démarches, de passer les tests médicaux, et de faire un passage à l’école de l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT) au Luc, en Provence, pour découvrir le métier de contrôleur, elle ne commence l’école des sous-officiers de Saint-Maixent qu’en mars de l’année suivante « quand j’allais avoir 27 ans ». Là elle entend quelques « commentaires déplacés, par pour moi mais mes camarades, vite réprimés par la hiérarchie », raconte-t-elle, mais en générale elle ne souffre pas de son genre.
Kathleen passe en suite un an à Mont-de-Marsan, au Centre d’Instruction de Contrôle et de la Défense Aérienne (CICDA), qui forme les contrôleurs aériens pour l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air et de l’espace. « Dans ma promo nous étions quatre de l’armée de terre et j’étais la seule féminine. Il y en avait une autre de l’armée de l’air », explique Kathleen, rajoutant néanmoins que les contrôleuses aériennes dans son régiment sont « nombreuses. On est une petite dizaine ».
A leur sortie du CICDA tous les contrôleurs aériens sont également munis d’une licence européenne de contrôleur aérien civil, « mais cela ne me dispenserait pas d’être obligée de repasser des concours si je voulais travailler dans l’aviation civil ». Ce n’est, de toute façon, pas son projet pour l’heure. « Je suis militaire sous contrat jusqu’en mars 2025. Après je peux signer un nouveau contrat avec l’armée de terre. Alors pourquoi pas ? Ce qui me plaît dans l’armée c’est que je fais autre chose en plus de mon travail de contrôleur aérien. »
Justement, comment se passe une journée typique pour elle ? « Je reste un maximum de quatre heures à la suite dans la tour de contrôle, et après il y a les taches annexes liées plutôt au côté militaire comme le tir ou le sport », raconte-t-elle.
Dans la tour il y a trois postes. « On commence avec un instructeur au poste ‘sol’, c’est à dire qu’on gère tous les mouvements au sol que se soient des aéronefs ou des véhicules terrestres. Une fois qu’on est autonome, on travail seule, sans l’instructeur. Après on monte au poste ‘air-sol décollage et atterrissage’, d’abord en suivant des cours et avec un instructeur, puis seule. Et finalement on peut prétendre au post ‘chef vigie’ qui est le chef d’équipe. » Kathleen n’est pas encore chef vigie mais elle est instructrice sur les deux premiers postes.
Elle a été déployée au Mali « pendant le COVID alors même si on ne restait, comme en Métropole, que quatre heures à notre poste de contrôleur, on était confinés à la tour et à la zone de vie. » Elle a quand même eu le loisir d’être frappée par la chaleur « et le sable à perte de vue. » Parmi ses autres missions : une semaine sur un bateau de la marine « ce qui était largement suffisant » dit-elle dans un grand éclat de rire, et des missions de garde. Car même si son métier c’est contrôleur aérien, il ne faut pas oublier qu’elle est aussi militaire.
La jeune femme se demande maintenant si « passer officier » ne serait pas une option pour l’avenir car « en plus de mes taches actuelles j’aurai du commandement », dit-elle, l’air rêveuse.
Toujours est-il qu’elle est ravie de ce coup de fil de Pôle Emploi car, entre autres, « être dans l’armée permet de faire pas mal de choses que d’autres personnes ne feront jamais ». Comme quoi ? « Comme voler avec la première ministre danoise ! »