Commandant Anaïs
Anaïs ne sera plus commandant mais lieutenant-colonelle en 2021, même si la date exacte reste à déterminer. Cette jeune femme avenante sait aussi qu’elle quittera la grisaille de la base aérienne 105 Evreux, à une centaine de kilomètres à l’ouest-nord-ouest de Paris, pour prendre un poste de commandement sous les cieux plus cléments de la Martinique où elle sera directrice du pôle aéronautique étatique. « Sur l’aéroport civil il y a une zone militaire dont je serai responsable », m’explique-t-elle en ajoutant, enthousiaste, que l’avantage de travailler au sein des forces armées c’est « qu’on peut vivre plusieurs carrières en une ».
La sienne a débuté à l’École de l’Air en 2004. Elle prépare le concours pour y accéder à l’École des Pupilles de l’Air en suivant le cursus classique des prépas en France : maths sup et maths spé, autrement dit des maths, des maths et encore des maths. Les jeunes soumettent normalement leurs candidatures à plusieurs Grandes Écoles mais Anaïs, voulant absolument être pilote, ne présente que celui-là. « Je n’ai toujours fait qu’un choix et cela a toujours marché », sourit-elle. « Je voulais un métier sympa et c’est mon instructeur d’aéroclub, ancien pilote d’hélicoptère dans l’armée de terre, qui fut le premier à me parler des armées quand j’avais 16 ans. »
Au fil des ans « c’est devenue une évidence » qu’Anaïs tenterait sa chance dans l’armée de l’air même si elle est issue « d’une famille plutôt antimilitariste à la base mais, paradoxalement, qui a les mêmes valeurs que l’armée ». Lesquelles ? « Le côté humaniste, le fait de donner du sens à ses actions, de défendre ses idées, de ne pas faire de différence entre ce que peuvent faire les hommes et les femmes » dit-elle. Sa grand-mère d’ailleurs était en politique et sa mère informaticienne. Alors quand sa famille « a vu que j’étais à ma place et que je n’avais pas changée », leur réticence initiale s’est transformée en fierté.
Dans sa promotion École de l’Air d’environ quatre-vingt élèves, il y a également deux autres femmes qui se destinent à être pilote. Anaïs raconte n’avoir eu aucune difficulté particulière due à son genre durant sa formation. Néanmoins « j’ai perçu que ce n’était pas une évidence pour tout le monde car on pointait du doigt les filles ». Mais elle se sent « libre d’être comme je le souhaite. Je ne suis ni une femme très ‘masculine’, ni particulièrement ‘féminine’, » souligne-t-elle. Après un tronc commun pendant lequel « on côtoie les pilotes de chasse et de transport et on suit des stages de motivation dans les escadrons », les élèves officiers sont orientés en fonction de leur choix, mais aussi de leur classement, dans la filière chasse ou transport.
Anaïs décide alors de devenir pilote de transport car là « il n’y a pas d’égos surdimensionnés, on y trouve une notion du collectif, de partage, d’ouverture ; on voyage, on vole plus, on travaille en équipage, on discute avec les autres personnes de la mission. Le collectif prime et c’est ce que j’adore. »
Elle choisit d’être pilote pour VIP sur TBM 700, s’occupant des liaisons en Europe, pour s’assurer de pouvoir rentrer à la maison tous les soirs, ou presque, s’étant mariée à un sous-officier à 23 ans et ayant une petite fille. « Je voulais tout réussir : être une mère parfaite, une super épouse et une bonne pilote », rit-elle, avant d’ajouter, ironique « cela n’a pas marché ». Elle raconte avec candeur « qu’on essayait les compromis mais c’était une équation très complexe. Il y avait beaucoup de pression sur la gestion de la famille et de nos carrières. Il y avait aussi des contraintes sur les choix de carrière militaire ». Au bout de 10 ans son mari la quitte lui laissant leur fille. « J’ai géré seule pendant cinq ans », explique-t-elle. Mener de front une carrière et s’occuper seule d’un enfant « c’est sportif, c’est pas simple ». Alors aujourd’hui « c’est le papa qui a la garde et même si je passe moins de temps avec ma fille, au moins le temps que nous passons ensemble est qualitatif », dit-elle, souriant bravement. Pendant cette phase compliquée de sa vie, elle souligne avoir reçue « beaucoup de soutien » de la part de l’armée de l’air et de l’espace.
Et puis en 2017 elle est nommée pour une mission de quatre mois comme cheffe des opérations aériennes au sein du MINUSCA (mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique). Travaillant avec des hommes issus de pays « peu habitués aux femmes exerçant des responsabilités militaires », les débuts furent « un peu compliqués » admet-elle. Mais, « c’était moi la cheffe et ils l’ont compris… Pas toujours en douceur », ajoute-t-elle dans un éclat de rire.
Au retour de cette mission cette femme chaleureuse eut envie de changer de poste et d’avion. Elle aspire à devenir commandant en second d’un escadron de CASA CN-235. Mais pour ce faire il lui faut passer les qualifications sur cet avion de transport tactique, ce qui lui a valu une année « intense ». Aujourd’hui, au sein de l’escadron Ventoux sur la base 105 Evreux, Anaïs assume « un commandement tourné vers l’humain et la confiance », qu’elle pense simplement « lié à [sa] personnalité ».
Anaïs est une femme qui souhaite inspirer les jeunes filles à aller au bout de leurs rêves. Durant une de ses missions pour la force Barkhane, elle était accompagnée par Willow Willpower, une poupée qui fait le tour du monde exclusivement à bord d’avions pilotés par des femmes. « Il est très important pour moi d’encourager les filles à faire ce qu’elles veulent, de ne se mettre aucune barrière, de foncer », souligne-t-elle.
« On pilote notre vie. Il faut savoir quelle femme on veut devenir. Il faut faire des choix qui sont parfois difficiles. Mais j’ai hâte qu’on ne parle plus des problèmes de l’intégration des femmes dans un milieu d’hommes », dit-elle. Ce sera peut-être le cas quand sa fille sera adulte ? « Vous croyez ? » répond-elle, dubitative.