Sergent Charlène
Charlène, maître-chien au 132e Régiment d’infanterie cynotechnique, travaillait dans une librairie de grande enseigne dans le nord de la France lors de la vague d’attentats en 2015 et 2016. Déjà attirée par l’activité physique que promet l’armée et nourrie par les histoires racontées par son père concernant son service militaire en Allemagne, elle s’est dit qu’il était temps de prendre une décision. « J’avais envie d’agir, cela faisait un bout de temps que j’avais une grosse envie de m’engager et je me suis dit que je ne savais pas ce que j’attendais pour le faire », raconte cette jeune femme posée.
L’officier de recrutement qui l’a reçu a dû être un peu surpris d’entendre la jeune libraire avec son baccalauréat littéraire et ses deux années de faculté passées à étudier l’art du spectacle, annoncer que son premier choix était de s’engager dans les forces spéciales et que son deuxième choix, appuyé sur sa passion pour les animaux, était d’être maître-chien dans les forces spéciales. « J’avais une vision un peu naïve, sans doute, mais je pensais qu’en m’engageant dans les forces spéciales il y aurait des missions intéressantes et de l’aventure. » Charlène sourit en admettant être assez attirée par l’aventure et l’action. Qu’en pensaient ses parents ? Elle sourit franchement : « mes parents n’étaient pas fans mais ils sont derrière moi ».
Les forces spéciales sont ouvertes aux femmes depuis les années 1990, mais aujourd’hui elles ne sont qu’une petite dizaine à avoir réussi les tests extrêmement exigeants pour les intégrer. Charlène fut orientée plutôt vers le métier de maître-chien.
Ont suivi quelques jours de tests physiques, psycho-moteurs et médicaux. « Les tests physiques étaient importants car un maître-chien marche énormément, entre 15 et 20 km par jour », dit-elle. Engagée comme militaire du rang, Charlène signe un contrat initial de cinq ans. Dès le début elle prévoyait de faire carrière dans l’armée mais elle a voulu commencer par la base pour gagner en légitimité. Et elle ajoute : « Je pense que dans mon commandement je serai plus juste ».
Son plan se déroule comme prévu : dès le dernier trimestre de 2020, elle suit la formation de sous-officier à Saint-Maixent. Elle aura donc un nouveau contrat de cinq ans à signer, « mais ce ne sera pas le dernier », rit-elle.
Elle est pacsée avec un militaire de son régiment « ce qui aide beaucoup car chacun comprend le métier de l’autre, surtout quand il faut partir de longues semaines en mission », mais son binôme de travail c’est Muukay, un berger malinois « qui a un caractère dominant » et à qui il a fallu quelques mois pour comprendre que c’était Charlène le maître ! « Même s’il ne m’a jamais mordu, il se retournait violemment pour faire mine de me mordre et pour me montrer qu’il n’était pas content », raconte-t-elle. Charlène, qui a eu beaucoup de chats dans sa jeunesse mais jamais de chien, a dû apprendre à montrer à Muukay qu’il ne lui faisait pas peur.
La formation d’un maître-chien comporte de la transmission de la part de maîtres-chien expérimentés ainsi que des cours de comportement canin. ‘L’apprenti’ maître-chien exécute des exercices avec son chien tandis que le ‘maître’ corrige ses gestes, son ton de voix ou son comportement. Une fois que le chien a compris qui est son maître il peut commencer à apprendre à travailler. « Il travaille toujours pour une récompense » explique Charlène, ajoutant avec un sourire que « la récompense ultime pour Muukay c’est un ‘kong’ », un jouet pour canins.
Pour dresser son chien à intercepter un individu, les soldats travaillent en binôme ‘conducteur–aide-dresseur’. Le ‘conducteur’ tient la laisse et donne ses commandements au chien tandis que ‘l’aide dresseur’, protégé par un costume d’attaque qui pèse environ 15kg, joue le rôle du ‘malfaiteur’ que le chien doit attaquer. « On est formé aux deux rôles car on est ‘conducteur’ avec son propre chien et ‘aide-dresseur’ pour les chiens de nos camarades », explique Charlène. « Après il faut ‘déconditionner’ le chien du matériel, c’est à dire lui apprendre à reconnaître l’odeur d’un homme », et non celui du costume. Cela se fait en diminuant petit à petit le matériel jusqu’à son absence total pour la formation du chien aux actions de recherche (le chien est en liberté et il signale la présence d’un individu suspect en aboyant) et de détection (le chien est en laisse) est là c’est l’attitude du chien qui signale à son maître la présence d’un individu suspect.
La période d’apprentissage n’est pas fixe « car cela dépend du chien, mais le mien apprend vite alors j’étais opérationnelle en six mois ».
Au sein du régiment il y a trois compagnies : une de recherches d’explosifs et deux d’intervention et c’est dans une de ces dernières que Charlène et Muukay travaillent. Leur rôle : appuyer les autres unités lors des missions (patrouille, combat en zone urbaine, point de contrôle, reconnaissance de point particulier…) , et sécuriser et protéger les bases militaires et des zones sensibles, par exemple. « On fait des rondes et la présence même du chien est très dissuasif pour un intrus », explique-t-elle.
Muukay et sa maîtresse ont été déployés pendant quatre mois en Côte d’Ivoire. « On laisse un peu de temps au chien pour s’acclimater quand il y a des grandes différences de climat », raconte-t-elle.
Charlène ne rentre pas le soir avec Muukay. « Il faut considérer mon chien comme une arme, alors lui reste au régiment.» Et, contrairement à ce qui se fait dans la grande majorité des cas, Muukay n’ira pas non plus prendre chez Charlène une retraite bien méritée au bout de huit à 10 ans de travail. « Son tempérament difficile ne lui permettra jamais d’être un chien de famille alors je travaillerai avec lui aussi longtemps que possible », dit-elle. « Notre équipe a encore de nombreuses années à faire ensemble. Le lien qui nous unis est fort et au service de la France notre binôme a de beaux jours devant lui avant que Muukay remplisse les conditions de réforme. »
Il faudra après à Charlène construire un nouveau binôme avec un autre canin.