Capitaine Lauriane
Petite fille Lauriane voulait être “pilote d’avion rose”. Évidemment, les Mirage 2000-D qu’elle pilote 25 ans plus tard ne sont pas roses, mais bon, elle fait avec ! Seule pilote de chasse féminine aujourd’hui sur la base aérienne 133 de Nancy-Ochey, cette jeune femme souriante vient de se qualifier comme pilote opérationnelle et partira pour sa première opération extérieur [OPEX] d’ici deux mois. « Une OPEX c’est la finalisation de notre formation alors j’ai un peu d’excitation et pas trop d’appréhension car je ne suis pas dans un grand inconnu. C’est le pour quoi de nos heures d’entraînement. »
Élevée en Bretagne et ayant un père dans la Marine nationale elle pensait jusqu’à son année de terminale être pilote dans l’aéronavale. “Mais au lycée naval j’ai pu me pencher en détail sur les différences entre les armées et je me suis rendue compte que dans la Marine on est marin d’abord et, même si je suis Bretonne, je n’avais pas envie de naviguer !” Elle rajoute qu’en plus “l’Armée de l’Air et de l’Espace est jeune et très féminisée et cela me correspondait mieux que la Marine”.
Avec son baccalauréat scientifique en poche, la préparation aux concours pour les grandes écoles militaires s’est passée sans heurts particuliers au même Lycée naval. « Ce qui est bien dans les lycées militaires c’est qu’ils vous préparent spécifiquement pour les concours des grandes écoles militaires qui, surtout au niveau des épreuves orales sont un peu différentes que celles des autres grandes écoles. Et puis il y a la formation physique spécifique aussi, » rit-elle.
Sportive, ayant pratiqué le hand-ball et l’équitation étant jeune, Lauriane est néanmoins en difficulté devant l’épreuve de la traction. « Les autres filles aussi avaient du mal et on ne voyait pas comment on pouvait s’entraîner quand on n’arrivait même pas à faire une seule traction ! » Conseillées par l’entraîneur, les filles ont inversé l’exercice : au lieu d’essayer de se hisser au-dessus de la barre, elles ont mis la barre plus bas pour commencer en appuie au-dessus et en descendre le plus lentement possible. « Cela fait travailler exactement les mêmes muscles alors au bout de quelque temps on a pu faire l’exercice dans le bon sens », m’explique-t-elle, enchantée.
Une pause s’impose dans la conversation car sur la base d’où me parle Lauriane des avions décollent dans un ciel bien bleu pour un mois de février.
Est-ce que le sport aide à supporter la force gravitationnelle, (communément appelé ‘force-g’ ou facteur de charge) subie par les pilotes en vol ? « Ça aide à avoir de la résistance mais », dit-elle, l’important « c’est surtout l’accoutumance. Quand on revient après un mois de vacances on fera attention lors des premiers vols car c’est une accoutumance que l’on perd vite.»
Très pédagogue, Lauriane explique que quand l’avion subit des accélérations rapides et serrées le sang du pilote est attiré vers ses pieds. Résultat : le cerveau n’est plus assez irrigué. « Tout d'abord la vision se tunnelise, puis s'assombrit -- c'est le voile gris--, ensuite on perd totalement la vue -- c'est le voile noir, mais à ce moment là on est encore conscient et l'ouïe fonctionne. Et après on fait un ‘G-LOC’, c’est à dire qu’on perd momentanément connaissance et si l’avion vol en basse altitude cela peut être fatal. »
Mais il y a des contremesures. D’abord le siège du pilote est incliné vers l’arrière pour que le corps soit plus horizontal ce qui aide le sang à mieux circuler. Puis le personnel naviguant porte par-dessus leur tenu de vol, un pantalon anti-g, qui, une fois branché à l’avion, se gonflera pendant les manœuvres pour se serrer autour des jambes et donc entraver la descente du sang vers les pieds. Et puis, Lauriane m’en fait la démonstration, il y à une façon particulière de respirer. « On bloque sa respiration, on contracte les muscles abdominaux et ceux des jambes, on expire rapidement et on re-bloque. » Avec ces trois mesures « un pilote peut supporter jusqu’à 9 g » tandis qu’une personne non-entraînée ne supportera pas plus de 5 g.
Est-ce qu’une femme est moins résistante au facteur de charge quand elle a ses règles ? « Ce n’est pas mon expérience et aucune autre femme pilote ou navigatrice ne m’en a parlé non plus », répond elle, en ajoutant que, de tout façon « avant chaque vol on a ce qu’on appel un ‘g warm-up’ pour savoir quel genre de vol on va pouvoir supporter. Parfois un jeune parent n’a pas bien dormi la veille alors on adapte les vols en conséquence. »
Autre sujet rarement abordé : comment fait-on pipi pendant un long vol ? « Je viens de tester un nouveau dispositif qui a été développé pour les pilotes américains. C’est le AMXD [aircrew mission extender device] qui est comme une serviette hygiénique mais avec des bords qui se gonfle pour rester hermétique. Des senseurs détectent en moins d’une seconde un début d’urine et une pompe est mise en marche qui collecte l’urine dans un sac. C’est beaucoup plus confortable que les couches qu’on mettait jusqu’à maintenant ! »
Lauriane est ravie de piloter le Mirage 2000-D. « C’est l’avion qui me faisait rêver », s’exclame-t-elle, en ajoutant qu’elle voulait voler dans un avion biplace et que la mission air-sol de cet avion est celle « qui me plaisait le plus ».
Ses professeurs de collège, étonnés quand elle disait vouloir être pilote de chasse, seraient surpris de la voir aujourd’hui. D’autres personnes, « une minorité cependant », lui disaient que son rêve était« inatteignable » -- attitude qui explique en partie qu’il y ait si peu de femmes pilotes de chasse en France. Aujourd’hui, en escadron de chasse, elles ne sont que quatre ou cinq. D’autres facteurs qui expliquent cela, pense Lauriane, sont que « c’est un métier qui ne fait pas rêver les petites filles et qu’elles n’ont pas envie de faire une formation aussi longue » qui les mènera à être pleinement opérationnelles à un âge où beaucoup pensent à fonder une famille. C’est un choix de vie. Elle a des camarades de promotion de l’École de l’Air qui ont choisit d’être pilote de transport car plus compatible avec une vie de famille.
Son compagnon est pilote de chasse aussi mais ni l’un, ni l’autre sont prêts à fonder une famille. Lauriane n’a que 29 ans, elle a du temps devant elle. « Je ne peux pas me permettre d’arrêter un an. Nous sommes comme des sportifs de haut niveau et nous avons passé des années à nous former alors si on s’arrête c’est dur de revenir. » Mais elle sait aussi que ce n’est que la première partie de sa carrière. Après quelques années de vols elle sera derrière un bureau où les faibles forces g seront compatibles avec la fondation d’une famille !