Sergent Manon
Que fait dans l’armée de terre une ancienne danseuse réunionnaise de 22 ans autrefois réticente à l’autorité et qui souffre de vertige ? Manon en rit, bien consciente que son parcours peut paraître improbable. « Il est vrai que ma première réaction a été de douter de moi quand j’ai su que je devais faire une initiation commando. En effet, si je me mets debout sur une table, j’ai déjà le vertige, alors je pensais ne jamais le réussir. Mais en fait, le milieu militaire fait qu’on se dépasse tout le temps », dit-elle.
Tout en étant fière de l’avoir réussi, elle explique, qu’aussi surprenant que cela puisse paraître, ses années de modern jazz , « m’ont appris à très bien connaître et maîtriser mon corps et cela a été d’une aide très précieuse pour les épreuves d’agilité. »
Aujourd’hui se sont ses doigts qui dansent sur les claviers d’ordinateurs car Manon est devenue spécialiste de la cyberdéfense à la 807ème compagnie de Transmissions. « Je suis superviseur, qui, dans le civil, équivaut à un poste d’opérateur analyste SOC (centre des opérations de sécurité). C’est à dire que je surveille le système d’information au sens large afin de détecter toutes les activités suspectes ou malveillantes sur nos réseaux et systèmes. »
Ces spécialistes sont aussi déployés sur les théâtres d’opérations extérieures, les OPEX.
Elle explique que dans son métier « nous avons tous des compétences différentes qui se complètent en vue d’atteindre un objectif final. Nous apprenons énormément les uns des autres. On est une grande famille. » En effet, Manon connaît la plupart de ses collègues depuis le BTS et l’École des transmissions (ETRS) à Rennes. Elle y était la seule fille parmi 26 élèves mais n’a jamais eu à se plaindre de harcèlement ou de sexisme. « J’étais comme leur petite sœur, sauf quand ils avaient des problèmes d’ordre personnel et qu’ils venaient me demander conseil comme à une maman », rit-elle franchement.
Aujourd’hui elle est l’une des quatre femmes dans sa compagnie de 73 personnes « mais il y en a aussi dans d’autres compagnies. Alors si je ressens le besoin de discuter avec une autre fille, il y’en a toujours une dans les parages. »
Personne n’est militaire dans sa famille, « mais l’armée m’intéressait depuis le lycée où j’ai passé mon bac SVT (sciences de la vie et de la terre).» Une rencontre avec le major à la retraite qui donnait des cours de sports de combat à son père fut décisive. En observant les cours elle décide de s’y joindre, l’occasion pour le major de lui parler de l’armée de terre. « C’est lui qui m’a proposé de faire un BTS SNIR (systèmes numériques, informatique et réseaux) et comme je suis un peu curieuse je me suis dit que j’étais jeune et que je pouvais essayer, voir si ça me plaisait. »
Mais cela ne peut se faire qu’en métropole. « De toute façon j’avais prévenu mes parents que je ne resterais pas à La Réunion après mon bac. J’adore y retourner mais c’est une île, c’est petit et les choix de métiers pour les jeunes sont très limités. » Alors à 18 ans elle débarque à Paris. « J’ai eu énormément de mal pendant les premières semaines. Mais c’était ma décision, mon choix. »
Sa promotion de BTS comportait 34 élèves dont cinq filles. « En deuxième année, nous n’étions plus que deux », regrette Manon. Le BTS en poche, elle choisit de rejoindre l’armée de terre et entre à l’École nationale des sous-officiers d’active de Saint Maixent pour acquérir les fondamentaux du métier de soldat pendant huit mois. « J’étais une ado turbulente et je m’étais dit que j’aurais du mal avec l’autorité, mais finalement ce n’était pas du tout comme je l’imaginais et j’ai très vite accroché à l’environnement », sourit-elle.
La jeune femme explique « qu’il faut que ce soit comme ça pour bien fonctionner ». Maintenant que c’est elle qui donne des ordres, elle se rend compte que « si je donne un ordre ce n’est pas parce que je ne veux pas le faire moi-même mais pour que le système fonctionne ».
Dans l’immédiat Manon ne désire pas passer le concours pour devenir officier. « Le management ne m’intéresse pas, c’est la technique qui me passionne. C’est pourquoi, dans un avenir proche, je souhaite faire un stage pour passer analyste et gagner en responsabilité ou bien basculer dans l’audit. L’armée me permet ainsi une grande possibilité d’évolution. »
Une bague de fiançailles brille à son annulaire gauche. Son fiancé est militaire lui aussi, mais à l’autre bout de la France. Ils réussissent néanmoins à se voir presque tous les week-ends. Ils n’ont pas de foyer, chacun vivant dans un logement militaire. « C’est un peu compliqué » admet-elle, mais ils doivent faire contre mauvaise fortune, bon coeur. Connaissant mal la Métropole et aimant beaucoup bouger, Manon lui fixe rendez-vous dans des villes différentes pour les découvrir ensemble. Elle concède que ce mode de vie ne pourra pas durer éternellement.
Manon clairement s’éclate et son épanouissement rassure sa famille qui était un peu inquiète de la voir s’engager dans l’armée de terre. Elle explique que profiter de sa jeunesse tout en étant militaire n’est pas incompatible. « On est sérieux quand il faut l’être et on passe aussi des super moments de camaraderie . C’est bien le juste milieu entre la rigueur et la souplesse », poursuit-elle.
Elle a signé un contrat de huit ans mais laisse entendre qu’elle aimerait poursuivre sa carrière militaire au-delà. « Je pense qu’il faut bien insister auprès de jeunes femmes qui se disent que l’armée de terre n’est pas pour elles sur deux points : il ne faut pas sous-estimer ses capacités physiques et mentales d’une part, et l’environnement n’affectera pas leur féminité d’autre part. »
Elle rajoute que depuis qu’elle s’est engagée « j’ai énormément appris sur moi-même et surtout le matin je suis heureuse d’arriver au travail ».