Capitaine Louise
Une fois n’est pas coutume, vous ne verrez pas le visage de Louise car elle est « officier de renseignement - coordinateur tactique » sur drone dans l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) ce qui requiert un peu de discrétion.
Cette jeune maman de trois enfants, enjouée et ravie de raconter son métier, explique qu’elle travaille dans une équipe de quatre personnes, divisée en ‘tranche avant’ et ‘tranche arrière’. Le pilote du drone (toujours un officier) et l’opérateur capteur (soit un officier, soit un sous-officier) qui contrôle les capteurs (caméras par exemple) du drone forment la ‘tranche avant’. Le coordinateur tactique et l’opérateur image, un sous-officier qui analyse les images et les vidéos en fonction des directives du coordinateur tactique, forment la ‘tranche arrière.’ Le responsable de la mission est la personne ayant la qualification la plus haute dans le grade le plus élevé.
Quand les drones Reaper sont déployés en opération, ces équipes les accompagnent. C’est une des grandes différences entre les modes opératoires des armées de l’air U.S. et française car aux États-Unis les équipages de drones se trouvent la plupart du temps à des milliers de kilomètres de la zone de déploiement de leur aéronef. En France, les équipages sont déployés avec le drone en opération extérieure. « Il y a un avantage d’être sur place car il est très important d’avoir cette dissociation entre le professionnel et le personnel », explique Louise. « Quand on est en opération extérieure, on est dans sa bulle : on se lève drone, on se couche drone, on crée des relations avec les autres opérationnels sur place, cela permet de faire un debrief après la mission », ajoute-t-elle. Et puis il y a le fait « que ce qu’on voit avec les yeux on le ressent très fort avec le cœur alors il est important de pouvoir faire un debriefing avec un psychologue lors d’évènements très marquants ». Evidemment, cela coûte plus cher à l’AAE d’envoyer ses équipages en opération extérieure plutôt que de les garder en métropole, mais Louise explique que « l’impact psychologique est plus important que l’impact financier ». Et il est vrai que les équipages de drones français souffrent moins du stress post-traumatique que leurs pendants américains qui, rentrant chez eux après une longue journée de combat à distance, peuvent tout à fait recevoir un texte de la famille pour, par exemple, « ne pas oublier d’acheter du lait en passant ». C’est extrêmement déstabilisant.
En rentrant d’une opération extérieure, Louise et ses collègues passeront quelques jours en France sur un site non-militaire, un sas de décompression. « Là, on a le temps de voir un médecin si on veut, de débriefer et de se préparer à un retour à une vie non-combattante », explique-t-elle.
Louise est officier renseignement depuis sept ans, et coordinateur tactique depuis 3 ans. Elle est parmi les premières car c’est un métier qui n’existe que depuis environ 12 ans.
Petite, elle était loin de s’imaginer une carrière dans l’AAE. « J’avais une relation fusionnelle avec mon grand-père, officier dans la Légion étrangère. Nous passions de longues heures ensemble, lui sur son cheval et moi sur mon poney. » Elle raconte en riant que « même si j’ai deux frères, c’est moi qu’il considérait comme le petit soldat de la famille ! » De surcroît, habitant une ville « très, très militaire » elle voulait « vraiment » être soldat. Pour être sûr que son meilleur choix soit bien l’armée de terre, à 18 ans elle fait une courte préparation pour la marine. Bonne idée, car il s’avère que « je n’ai pas du tout le pied marin ! »
Elle décide alors de passer le concours réservé à ceux qui ont un Bac + 3 pour entrer à St Cyr, « cela me permettant de rebondir sur autre chose au cas où j’échouerais ». Elle fait une prépa Hypokhâgne, puis fait un BBA (Bachelor of Business Administration) à la Paris School of Business, l’antenne française d’une école américaine. Seulement voilà : à l’époque les diplômes décernés par cette école ne sont pas reconnus en France « alors mon dossier pour St Cyr n’a pas été validé ».
Dépitée, elle se rend compte que le concours pour entrer à l’École de l’Air est encore ouvert et qu’entretemps son BBA a été reconnu. « Je n’y connaissais rien à l’aéronautique et je ne suis pas une scientifique mais il y a quelques places accessibles à ceux qui passent le concours de sciences politiques. La barre d’admissibilité est la même que pour entrer à Sciences Po Aix. » Il y une épreuve d’anglais (aucun problème pour celle dont le père a grandi en Afrique du Sud), des oraux, une épreuve sportive. Et la voilà intégrée à l’École de l’Air au même titre que les scientifiques sauf qu’au bout de trois ans elle sort avec un diplôme de l’IEP Aix tandis que ses camarades ont un diplôme d’ingénieur. « Il y a eu une grosse période d’adaptation », concède-t-elle « car j’avais 22 ans contre 19 ans en moyenne pour les autres, ce qui est difficilement corrigeable ». Dans la promotion de 80, elles étaient 20 filles dont trois, comme elle, dans la filière sciences politiques. « Nous étions cinq en tout et le seul garçon est devenu contrôleur aérien. On vivait à un rythme différent des scientifiques parce que nous dissertions là où ils résolvaient des problèmes mathématiques. »
Par contre, ce sont les ‘Sciences po’ qui prédominent dans la spécialité renseignement. La formation spécifique dure huit mois. « Je ne voulais ni le renseignement, ni la chasse et encore moins Nancy avant ma formation. Après un passage en stage au sein de l’escadron de chasse 1/3 « Navarre », j’ai finalement fait les 3 mais sans aucun regret », sourit-elle. En 2018, suite à la mutation de son mari, elle le suit et reste depuis sur drones.
Louise, qui vient de reprendre le travail après son troisième congé maternité, raconte que quand les deux membres d’un couple (son époux était navigateur sur Rafale basé à St. Dizier) sont engagés dans les forces, il faut parfois composer pour sa vie personnelle. « On s’est marié civilement en 2015, religieusement en 2016 et le lendemain de mon mariage religieux j’étais en avion en direction d’un exercice TLP (tactical leadership programme) international en Espagne. J’ai accouché seule pour notre deuxième car mon mari était dans son avion retour et comme nous voulions trois enfants nous nous sommes renseignés pour savoir quand nous serions envoyés en OPEX et nous avons accueilli le troisième entre deux OPEX !! »
Louise tient à souligner combien son époux se montre un « père exceptionnel, investit à 2000% » et que les tâches de leur vie personnelle « sont largement partagées ».
Ayant déjà eu ses qualifications « autonome » et « opérationnel », elle vise maintenant les deux prochaines : « instructeur » et « examinateur ».
Comment fait-elle pour mener de concert ses deux vies bien remplies ? « Je compose », rit-elle. « Je suis une Beethoven des temps modernes ! »